Réel ou fiction

Réel ou fiction, ou les deux, un pied d’un côté, un pied de l’autre.

Peu de mots aujourd’hui. Surtout des images, d’un quartier que je continue d’explorer quasi quotidiennement pour quelques mois encore. Je l’appelle mon quartier de travail. Comment l’appellerai-je ensuite ? Quand des collègues me demandent d’où je suis je leur dis que je suis d’ici. Je suis née dans le quartier.
 

Pérégrinations

Reprendre mes pérégrinations dans le quartier. Temps limité puisque seulement deux fois par semaine au bureau. Temps limité parce que le compte à rebours a commencé. Dans treize mois tu quitteras le quartier, tu n’auras plus ces deux jours qui t’y relient. Plus rien dans ton quotidien ne t’y reliera. Temps limité, donc, avant que tu ne quittes le quartier. Reprendre le manuscrit et le terminer avant de quitter le quartier. C’est ce lien avec lui qui en est la raison d’être.

Demain ou un autre jour je retournerai à l’endroit où j’ai pris cette photo pour voir comment s’agence ce reflet. La photo ou l’art de voir autre chose que ce que le réel nous donne à voir. La photo ou l’art de nous faire lire entre les lignes.

Toujours ces entrelacs entre passé et présent, ces passerelles d’une époque à une autre, la ville tiraillée entre l’un et l’autre, la ville entre chien et loup.

La ville est grise, souvent elle fait grise mine mais ne se laisse-t-elle transformer par la mine de ceux qui la parcourent ? L’année dernière je m’étais lancé le défi de poster un article par jour pendant 30 jours pour attester de la présence de la couleur dans la ville. La lumière sur la ville pourrait être un nouvel angle d’approche.

Mais d’abord reprendre le manuscrit pour le terminer avant de quitter le quartier. Et s’y tenir.

Cafétérias, sandwich bars & cie

Tôt le matin, tables et chaises sont désertes. Décor urbain à souhait, tuyauterie d’aération, structures métalliques et briques nues. Vue sur rue embouteillée. À peine quelques personnes, en avance pour une réunion peut-être. Mais en général pas le temps de s’attarder, café et croissant à emporter. Chaises et tables colorées au coin de la rue.

Les cafétérias où se rendaient Lovecraft et ses amis à New York en 1925 comme le relate François Bon dans son projet #Lovecraft 1925, m’ont fait penser à celles que j’ai pu fréquenter dans ma vie alors que pourtant il n’y a rien de commun entre les unes et les autres. Chose qui certainement n’intéressera que moi.

La définition que nous en donne le Larousse en ligne est celle d’un « établissement généralement implanté dans un lieu de passage (centre commercial ou administratif, ensemble de bureaux, université, etc.), où l’on peut consommer des boissons, se restaurer, souvent en libre-service » tandis que le Oxford Dictionary nous dit : « a restaurant where you choose and pay for your meal before you carry it to a table. Cafeterias are often found in factories, colleges, hospitals, etc. ». Définitions similaires de part et d’autre de la Manche. Par contre, outre-Atlantique, le Merriam-Webster nous donne une acception plus générale du terme, à savoir qu’une cafétéria est un « restaurant in which the customers serve themselves or are served at a counter and take the food to tables to eat ». Cette définition donne en effet à penser que ces restaurants ne se situent pas nécessairement dans des entreprises ou des écoles mais que du temps de Lovecraft et plus tard aussi de tels établissements permettaient de se restaurer à moindre prix.

Les cafétérias n’ont jamais été des lieux particulièrement agréables, ni désagréables non plus du reste. A tel point, peut-être, qu’il m’est difficile de m’en souvenir. Des lieux à la décoration passe-partout, mobilier fonctionnel, rien qui attire le regard ou donne envie de s’attarder. Ce n’est pas le but, me direz-vous.

Quoique. On n’est pas censé y rester trop longtemps. Les critiques fusaient autrefois sur celui ou celle qui « passe son temps à la cafèt’ ». Le paradoxe est là, ne pas traîner à la cafèt’ mais s’y sentir bien quand même. Les cafétérias récemment aménagées, dans le contexte du « well-being at work » n’ont plus rien à voir avec leurs consoeurs d’un passé pas si éloigné que ça. Ici, intégration parfaite dans le lieu, panneaux muraux en bois composés de hautes lamelles verticales, des lampes suspensions formées également de lamelles en bois, hautes baies vitrées, tout rappelle la verticalité de la ville.

Mobilier en bois design, fauteuils et poufs en tissu, étagères, livres, tapis formés d’hexagones de tissu des mêmes couleurs que les canapés qu’on assemble comme un puzzle, c’est un lieu de convivialité, de travail et de détente. On aurait presqu’envie d’y rester, plongé dans le quartier, regarder la ville défiler.

Du jaune, encore

Jour 20 – Où il sera encore question de la journée d’hier. On dirait bien que le jaune tient le haut du pavé dans cette exploration de la couleur dans la ville, après le rose peut-être. Après les camionnettes jaunes des marchands de gaufres, la visite aux bouquinistes, les étançons jaune de la place de Brouckère. Ils auraient tout aussi bien pu être bleus, rouges, oranges ou vert.  Mais ils sont jaunes. Tu le sais, ici la couleur n’est qu’un prétexte pour plonger le regard par les ouvertures des fenêtres sur le ciel. Sur le potentiel de renouvellement de la ville qui se reconstruit sur elle-même. Mais tu ne peux t’empêcher aussi d’imaginer que des gens ont vécu, ont travaillé, se sont aimés peut-être derrière ces façades et dans ces immeubles dont seul subsiste le squelette. Et puis tu repenses aux jonquilles. A leur côté, les étançons ne font pas le poids.

Arc-en-ciel

Jour 16 – A mes yeux, un classique du quartier ce bâtiment au coin de la rue de la Loi et de l’avenue des Arts. Je ne me lasse pas du reflet de l’immeuble à la silhouette de paquebot dans sa façade vitrée plane et uniforme qu’aucune fenêtre ouverte ne vient perturber.  La proue du navire brille des dernières lueurs de l’aube, les vitres fumées amplifient le bleu du ciel. Des bandes colorées rythment la surface de verre, rouge, orange, rose, jaune, les couleurs chaudes dans la moitié inférieure et à mesure qu’on monte vers le ciel, les couleurs froides se confondent avec la réverbération du ciel. La couleur du jour, ce sera plutôt un arc-en-ciel.

De quoi demain sera fait

Jour 10 – Un premier seuil est franchi, le premier tiers de ce défi que tu t’es lancé, ce défi d’observer pendant trente jours une couleur dans la ville, une couleur qui capte ton regard et d’en rendre compte en quelques lignes, comme un carnet que tu tiendrais, un prétexte pour te remettre le pied à l’étrier, pour mettre en place une routine d’écriture, tu te serais demandé quelle idée tu pourrais trouver qui te donnerait l’envie chaque soir après avoir passé 8 heures devant ton écran de boulot d’en passer une autre encore devant ton écran perso pour dire la couleur que la ville aujourd’hui t’a donné à voir, soir après soir sans y déroger, même quand ta fille vient passer la soirée et la nuit à la maison, que vous discutez de tout ce qui vous passionne, que tu n’as pas eu cinq minutes pour écrire mais que tu les trouves, juste avant de dormir. Dix jours n’est pas grand chose et pourtant tu as failli craquer, tu t’es dit que tu écrirais deux entrées demain, que tu grappillerais quelques instants dans la journée, mais tu as tenu bon, ce ne serait pas authentique, et de toute façon ces instants tu ne les aurais pas trouvés, tu t’es rendu compte qu’il te faudra t’organiser, prévoir, si tu veux garder le cap, chercher l’équilibre entre organisation et spontanéité. Vraie journée de printemps aujourd’hui, ce ciel bleu intense, celui que tu aimes voir se refléter à l’infini dans les vitres de la ville et comme par hasard les couleurs se sont bousculées tu n’as pas sur laquelle choisir, laquelle privilégier. Tu les as toutes emportées avec toi, car tu ne sais pas de quoi demain sera fait.

La femme au béret fuchsia

Jour 3 – Dans le métro, plongée dans ma lecture, je lève la tête, je vois le béret fuchsia et je ne vois que lui, tout le reste n’est que brouillard autour, les gens, les stations où le métro s’arrête, tout. La femme au béret fuchsia est assise en face de moi. Une femme d’un certain âge, les yeux rivés à son téléphone, le doigt animé de ce mouvement caractéristique du bas vers le haut qui fait défiler les posts très probablement sur Instagram. Elle, toute vêtue de bleu foncé, de noir, foulard à motifs gris clair et blancs, un sac bleu nuit avec sur le devant un grand papillon bleu et blanc aux ailes ornées de brillants et sur le dessous des motifs têtes de mort imprimés en creux. Même les montures de ses lunettes sont bleu foncé. J’ai tenté de la photographier discrètement quand à ce moment précis mon téléphone s’est éteint, pour me rappeler sans doute que photographier les gens d’aussi près, à leur insu, est inapproprié. Elle a rangé son téléphone, a fermé les yeux un bref instant, pour s’en ressaisir aussi vite et se remettre à faire défiler les posts, imperturbablement, sans imaginer que le souvenir de son béret fuchsia serait emporté dans les méandres du web.

La vie à l’extérieur

Regarder la vie à l’extérieur, c’est dehors que ça se passe, il paraît, la ville c’est dehors, dans le sens « hors de chez soi », l’imaginer bruyante, toujours en mouvement, se tapir dans l’ombre et l’observer, fascination de ces lamelles de jalousies qu’on peut orienter comme on veut, repenser à cette affiche de film avec Richard Gere, ombre mystérieuse sur les murs éclairés par le clair de lune, souvent préférer rester à l’intérieur, ne pas avoir envie des injonctions estivales du tout à l’extérieur, les pelouses des parcs couvertes de monde, les terrasses des cafés prises d’assaut, les humains lâchés pires que des fauves.

Ce bleu de la nuit qui s’approche, sa profondeur douce qui annonce le repos, cette danse de couleurs qui nous est offerte, du gris pour le sommeil, du rose pour le rêve, la lumière s’efface peu à peu, se dilue dans le lointain, attraper le téléphone pour saisir l’instant fugace.

Des perles vert tendre s’accrochent aux branches de l’arbre qui n’en peuvent plus de rester dénudées, elles parsèment le feuillage naissant telles des guirlandes de lumière sous la caresse du soleil encore timide, elles le captent dans toute sa brillance et c’est l’éclat subtil de sa luminosité qui nous dit que le printemps est là.

Dedans la ville

La Foire du livre de Bruxelles, c’est la semaine prochaine, du 30 mars au 2 avril 2023 à Tours et Taxis ! Les Editions Novelas qui publient mon nouveau livre Dedans la ville seront présentes sur le stand 204 Côté Jardin, B2 et j’y serai moi-même le samedi 1er avril de 16h à 18h. N’hésitez pas à venir m’y faire un petit coucou si vous êtes de passage à la Foire du Livre !

Disponible au prix de 12€ (hors frais de port) en commande par email auprès des Editions Novelas: novelasasbl@hotmail.com ou auprès de moi-même: catherine.koeckx@gmail.com, ou sur place à la Foire du Livre

De quoi ça parle ? Voici un extrait de l’avant-propos :

Après un recueil de poèmes intitulé L’Impalpable sorti en 2006, j’ai réalisé et publié en 2021 Le Guide lovecraftien de Providence, un guide littéraire consacré à Providence, Rhode Island, la ville où est né et où a vécu Howard Phillips Lovecraft. Début 2022, j’ai lancé le blog que vous lisez en ce moment, où se mêlent la réflexion, l’expérimentation et l’image. La même année j’ai relevé le défi d’écriture lancé par François Bon avec l’atelier « 40 jours » sur le thème de la ville. 40 fois la ville. Comme les musiciens : faire des gammes au quotidien. Et voir ce que ça nous ouvre comme possibles, des déplis, des pistes qui peuvent nous emmener loin sur des chemins que nous n’aurions pas soupçonnés, des textes dont nous ne nous serions pas crus porteurs, voir comment le réel nous invite à l’imaginaire. On s’inspire de Balzac, Melville, Kafka ou Walter Benjamin mais aussi des écrivains du contemporain : Guy Debord, Christophe Tarkos, Georges Perec, Jacques Roubaud, Patrick Modiano, Jean Rolin, Fabienne 5 Swiatly, Emmanuelle Pireyre pour ne citer qu’eux. On élargit les horizons en allant toucher d’autres domaines artistiques comme la photo avec Taryn Simon ou Bruno Serralongue, le cinéma avec Chantal Ackerman ou Viktor Kossakowski. Explorer 40 aspects de la ville, d’une ville, sa ville, ou d’autres villes que la sienne, les villes des voyages ou des souvenirs. Evoquer la couleur, les matières, les sols, les rugosités, visiter des lieux cachés, déambuler, se perdre, vue panoptique, caméra tournante, zoom avant, zoom arrière, plan fixe, le mouvement, le discontinu, on joue avec la langue, on la malaxe, on la triture. On
travaille les projections mentales et le fantastique n’est pas loin. Ce livre rassemble mes 40 textes.

Cailloux sur le chemin

Ce n’est pas toi qui habites la ville, c’est elle qui t’habite. Dualité. Deux photos pour toi identiques. Forêt et ville. Dans une même ville, celle qui t’habite. Centre et périphérie. Racines et verticalité. Mots-clés comme cailloux sur le chemin. Dualité (de la ville) qui t’habite, les parenthèses ont leur importance.