Réel ou fiction, ou les deux, un pied d’un côté, un pied de l’autre.
Peu de mots aujourd’hui. Surtout des images, d’un quartier que je continue d’explorer quasi quotidiennement pour quelques mois encore. Je l’appelle mon quartier de travail. Comment l’appellerai-je ensuite ? Quand des collègues me demandent d’où je suis je leur dis que je suis d’ici. Je suis née dans le quartier.
Déjà le livre de Françoise Renaud est un bel objet. Ses créations photographiques aux motifs organiques illustrent la couverture et les intitulés de chapitres sur double page. Elles ravissent l’œil. La couverture, épaisse, légèrement gaufrée invite au toucher, à prendre le livre à pleines mains comme pour nous donner la un avant-goût de la matière rugueuse, fibreuse qui nous est offerte au long des pages.
Après avoir parcouru le monde et son pays, vécu en Languedoc, Françoise décide de s’établir plus au Nord, en Limousin, poussée par la dégradation climatique. En une infinité de touches délicates, ciselées par la finesse des mots, elle nous conte son installation sur ses nouvelles terres.
Elle consigne dans ce Carnet l’élégance des aigrettes au plumage blanc comme irréelles dans leur lent déplacement vers l’eau, les lichens incrustés dans les murs pareils à des runes, les haies aux fruits desséchés et les taillis impénétrables. Nous lui emboîtons le pas avec entrain au fil des saisons de cette première année où elle arpente le domaine, visite les parcelles plantées de légumes et bientôt d’arbres fruitiers, on se prend d’affection pour les trois jolies poules. Le ciel nous envahit, comme la vibration des arbres et le chant mélancolique des oiseaux. On respire l’odeur du bois et de l’humus, on déguste fraises, framboises, courgettes jaunes, poivrons verts et rouges. C’est un livre pour tous les sens.
Même si parfois la nature se met en colère, nous envoie ses éclairs et ses coups de tonnerre, souvent elle nous offre le silence de la neige, le frémissement de l’herbe sous le vent, le bruissement des ramures. De page en page, Françoise rapporte ce que la nature lui murmure. Et c’est à nous aussi qu’elle murmure.
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En lisant le Carnet de murmures, j’ai moi aussi envie de errer dans les friches et frôler les forêts, d’observer les bourgeons fragiles, la peau mouillée d’une salamandre, de me poser et me garder à l’affût dans l’imperceptible étirement du jour. Un livre qui restera à mes côtés.
J’ai perdu mon amie sans l’avoir mérité… Les paroles n’ont rien d’enfantin. Elles sont tentatives de consolation. La Chine ? Être l’amie d’un voyage lointain, complexe, un voyage dont elle dira c’est le nôtre. Baignée des derniers rayons du crépuscule, Catherine Serre, devant la boutique de MaelstrÖm ReEvolution nous dit un passage de Soleil Ogre, son nouvel opus. Trois personnages principaux : l’amie, la narratrice et le Soleil. Nous avons tous besoin du soleil, mais elle, l’amie, sans lui, elle dépérit. L’amie tourne autour du soleil, elle le poursuit à travers le monde, en hiver elle hiberne, se nourrit de coquillettes au beurre fondu alors qu’en été, elle croque les pèches, les melons, se gorge de soleil, l’ingurgite, mais lui, il la brûle. Le soleil la dévore. Ses récits autour du monde illuminent le livre. Elle a quarante ans, elle sait que la fin du voyage est proche. Dans ce récit poétique, de sa prose dense et charnue, qui nous touche et nous ravit, Catherine Serre évoque cette amitié fascinante, l’amie cheffe d’orchestre. Ça te dirait la Chine ? C’est un voyage unique, tu viendras. Se sentir l’élue et pourtant ne pas donner suite. L’amie ne relève pas la fausse note. L’amie qui dit quand ses amies viennent et vont. Va t’en. Ne reviens pas. Être aux côtés de l’amie jusqu’au bout, même loin. Je me tiens à l’ourlet de l’ombre, elle marche en plein soleil.
Rencontrer les poètes et les poétesses d’aujourd’hui. À la Maison Poème, lieu de croisement culturel et d’expérimentation, littérature, musique, arts vivants, créations sonores et visuelles. Au micro de la salle elles et ils se succèdent et performent, théâtralité, gestuelle, musique, vidéos, bruitage, un art scénique à part entière. La langue des signes s’y invite, timidement. Bar sympa, convivial, des amitiés en écriture sont nées et pour l’ouverture du Fiestival Maelström Reevolution, se retrouvent. Grâce au Tiers Livrede François Bon, déjà trois ans que je rencontre Catherine Serre.`
Poètes et slammeurs s’affrontent au cours de joutes poétiques, d’autres présentent leurs nouveaux livres, leurs recueils, la scène leur est ouverte après que l’on ait entendu une conversation d’écrivains et éditeurs des îles (du Sud) à propos des difficultés de l’édition hors de la métropole. C’est le Fiestival de MaelstÖm ReEvolution, chaque année à la fin du mois de mai à Bruxelles.
Un week-end lumineux à chiner les vieux livres à Redu un village du Sud de la Belgique dit Village du Livre où Marilyn côtoie Rabelais et Khnopff. Je ne vais pas ergoter sur le nombre de librairies qu’il compte encore aujourd’hui à savoir huit dont deux sont en passe de mettre la clé sous le paillasson contre vingt-quatre à son heure de gloire il y a quarante ans ou sur la situation du livre à l’heure actuelle, les jeunes ne lisent plus, les réseaux sociaux, il faut diversifier, ne pas se centrer sur le livre seulement, etc.
Une échappée tout simplement comme en proposent les fenêtres soulignées de livres d’une des librairies les plus belles et les plus fournies du village. Le plaisir de trouver un magnifique livre sur les phares des Etats-Unis à 4€, d’espérer trouver un livre sur Khnopff et d’en trouver deux ou encore des vintage books, Miss Read et Muriel Spark.
Et puis le retour à Bruxelles, les journées au bureau, grises et pluvieuses et se demander si des gens parfois jettent encore des bouteilles à la mer. Le net nous dit que si l’on veut jeter une bouteille à la mer il faut éviter les bouteilles en plastique… Je ne savais pas que dans l’urgence on avait le choix. Quand l’été approche, envie à chaque fois d’emboîter le pas des aventuriers Corto Maltese ou le baroudeur Blaise Cendrars mais pour cette année ce sera encore sous le parasol de ma terrasse. Mais en tout cas c’est certain, j’irai voir les oloés en juin à Paris avec Anne Savelli.
La grisaille a fait un bref retour et c’est la couleur qui s’invite, c’est elle qui accroche l’œil et le sort des pages dans lesquelles il s’était enfermé non sans un plaisir certain, celui des instants volés (à propos, le métro est un de mes oloés) à une journée qu’il passera scotché à un écran, mais il y a la vue sur Bruxelles, qui lui permettra de regarder loin, de faire se bouger le muscle qui le maintient et de lui en conserver l’élasticité.
Arpenter la ville quand il fait nuit. Quels sont les visages de la ville la nuit, quel visage vois-tu de la ville la nuit ? Tu vois son visage d’ombre, ce visage qui n’est pas le tien, un visage qui te met mal à l’aise, mais c’est un de ses innombrables visages que tu connais si peu. Malgré les lumières qui brillent partout, ce visage de la ville la nuit n’a rien de lumineux.
Mercredi c’est la soirée d’inauguration de la Foire du Livre de Bruxelles à Tours & Taxis. C’est ce visage-là qu’offre la ville pour s’y rendre. Et tu as l’impression d’être seule à y aller. Sur place, ce n’est pas la foule des journées d’ouverture mais il y a du monde et tu te demandes d’où viennent les gens car tu ne les as pas vu arriver.
Ce visage de la ville la nuit n’est pas lumineux mais tu sais que ce n’est qu’un de ses visages. D’autres lieux d’autres visages, même la nuit. Au détour d’une ombre, d’une ombre que parfois tu suis, la lumière illumine la nuit, et le visage de la ville la nuit soudain devient lumière.
Mercredi dernier la ville n’était que miroitement, réfraction, fragmentation, luminosité pour qui voulait bien lever le nez vers les étages supérieurs des immeubles par dessus les têtes des gens qui se dirigent, comme moi, vers leur lieu de travail, et qui soit marchent droit devant soit ont le nez scotché à leur téléphone sans prêter une seconde attention à l’espace qui les entoure, ce qui est pratique quand tu t’arrêtes en plein milieu du trottoir pour prendre des photos avec ton téléphone, ils ne te voient même pas et te regardent encore moins.
Et puis en fin de semaine, la ville entre chien et loup, comme souvent un entre-deux, d’un côté l’autre, la nuit ou le jour, l’ombre ou la lumière, souvent l’hésitation, quelle direction prendre. Me fait repenser à un poème écrit il y plusieurs années.
Lumière et couleur dans la ville. Rendre compte de ce que par leur caractère éphémère elles dessinent, façonnent la représentation que l’on a de la ville, dont on ne sait si elle est réelle ou imaginaire. Et si tout est question de reflet, les arbres qui se réverbèrent dans les vitres de quel côté se trouvent-ils réellement ? Les arabesques de leurs branches nues en hiver accentuent l’effet de miroitement, la plongée dans l’inconnu de l’autre côté, la ville qui se prolonge et se décuple au gré de nos regards.
Une à deux fois par an, j’ai rendez-vous un samedi matin dans le centre-ville avec les sœurs Brontë pour écouter des universitaires, essayistes ou simples passionnés présenter différents aspects de leur œuvre ou de leur vie, notamment en lien avec leurs années passées à Bruxelles et chaque fois me revient la question du point de départ de ma passion pour les sœurs Brontë, quel livre en est à l’origine, quel film peut-être ? Et jamais je ne parviens à y répondre, il y a comme un flou, comme si c’était là depuis toujours comme si j’étais née avec. J’aimais fouiner dans les vieux livres de mon père et parmi eux un vieil exemplaire jauni et racorni de Jane Eyre. J’ai dû en voir l’adaptation cinématographique à la télé comme celle des Hauts-de-Hurlevent, ce nom me fascinait. Mais pas de livre lu en cachette sous les couvertures jusqu’à 2 heures du matin ou d’exemplaire emporté partout avec moi, rien de tout cela. Premier voyage en Angleterre, Expérience inoubliable que la visite de Haworth, se plonger dans cette atmosphère, la lande qui enveloppe le village de son aura brumeuse, la pierre grise partout, les maisons, les tombes recroquevillées autour de l’église, l’antre de ces trois sœurs dont aujourd’hui encore on peine à expliquer ce qui a pu mener à un tel génie.
Le sapin qu’on a jeté comme un malpropre sur le trottoir, on n’en veut plus il encombre il perd ses aiguilles il se dessèche et puis les fêtes sont terminées depuis longtemps, on est passés à autre chose. Je ne peux m’empêcher d’avoir un pincement au cœur pour lui qu’il y a quelques semaines on avait paré de ses plus beaux atours, lui dont on a célébré la gloire, dont on a couvert le pied de cadeaux, qu’on a voulu au centre de nos photos-souvenirs.
La semaine dernière, retour, à la demande de ma fille, sur des recherches généalogiques entreprises il y a près de quarante ans et jamais continuées depuis après avoir buté sur les registres baptismaux rédigés d’une écriture illisible et qui plus est en latin que je ne connais pas. Valse de patronymes et de toponymes ressemblants, proches géographiquement, grande toile abstraite de noms sans visage dont seuls ces quelques lettres, quelques chiffres attestent du passage furtif sur la Terre et pourtant tout s’imbrique parfaitement, un seul grain de sable dans la mécanique et le paysage se transforme.
Parfois se demander de quel côté du réel on se trouve, de quel côté du voile quand la brume est épaisse et Dieu sait qu’il y en a eu de la brume ces dernières semaines. Quand la lumière se joue de nous, nous fait des clins d’œil, du coin de l’œil la capter, la réfracter, elle est partout, au simple détour d’une rue, l’emmener avec soi, dans l’appareil photo, dans les interstices, au cœur des mots, dans les vitres des immeubles, non elle ne nous fait pas prendre des vessies pour des lanternes, la suivre pour voir où elle m’emmène.
La suivre, suivre les plus petites étincelles qu’elle sème sur le chemin, dans les méandres des rues de la ville. Chaque jour elle est ailleurs, dans un recoin, dans le banal, le fond d’un chantier, immeuble au squelette mis à nu, les toits, des lieux où on ne l’attend pas, ne la voit pas, ne l’imagine pas.
Quant au manuscrit, il n’a pas progressé d’un iota, et quant à faire un parallèle avec les épaisses couches de brumes qui ont maintenu la ville dans le flou, il n’y a qu’un pas, y aller chercher les étincelles de lumière qui le feront sortir de l’ornière. C’est étrange comme elles se font discrètes, voire invisible à l’œil nu, encore moins ébloui.
Toujours essayer de voir quelque chose de différent, être à l’affût, passer sur l’escalier roulant, ce reflet dans le marbre au parfait endroit. Saisir la lumière. Nos regards se sont croisés, elle s’est offerte à moi. Rendre compte de la lumière dans la ville. Qu’elle soit naturelle ou artificielle, discrète ou déferlante, qu’elle auréole le Palais de Justice, qu’elle illumine la flaque, elle est partout présente.
Grisaille et pluie quand je quitte mon domicile. Je suis dans le tram direction le centre-ville. Je suis assise sur un siège dans la direction opposée à la marche. Comme dit Anne Savelli dans Fenêtres Open Space, les sièges qui tirent ou les sièges qui poussent ? Une fenêtre au 3e étage d’une maison ancienne, une lampe plafonnier projette une lumière froide mais n’éclaire en rien l’intérieur au regard extérieur. Le pièce reste plongée dans un halo sombre et fantomatique. Fenêtres comme soulignées par des balcons en fonte ou en fer forgé, motifs floraux ou plus géométriques, tous différents, un enchantement de dentelle qui s’offre à ma vue songeuse.
Je lis Anne Savelli, Fenêtres Open Space et quoi de plus normal que l’envie de s’en inspirer quand on écrit dans, sur et à propos de la ville? Juste ici ou là quelques lignes sur dix minutes avant que le tram s’enfonce dans la partie souterraine de son intinéraire. Mais je n’ai pas de carnet. Je me fixe des images dans la tête ou parfois je prends des photos.
Un bar à vin sympa, vous entrez il n’y a personne, il est encore tôt, 18h un jeudi soir, tu ne connais pas ce bar, vous êtes seules ta fille et toi, elle t’a proposé deux bars, le Jane’s et chez Franz, tu choisis le Jane’s, pourquoi ? Jane t’inspire-t-elle plus que Franz ? Le Jane’s un bar anglais peut-être, Jane… quelle Jane t’inspire ? Quel Franz ne t’inspire pas ? Aucune idée, tu te laisses guider par ton intuition, il n’y a personne encore, un homme au bar qui semble connaître la serveuse, ou est-ce la patronne, est-ce elle, Jane ? peut-être une autre fois tu lui poseras la question, peut-être Jane n’existe-t-elle pas réellement et est-elle juste une évocation, rien de particulièrement british dans ce bar, design et vintage, un peu bobo.
Photo Elisabeth B.
Petit à petit il se remplit, que cherchent-ils les gens, se demandent-ils aussi qui est Jane ou peut-être la connaissent-ils, se disent-ils aussi comme elle qu’ils sont entourés de gens dans un bar, comme avant, que l’insouciance et la légèreté sont revenues, que ça rassure dans la ville d’avoir des gens autour de soi, même si on ne les connaît pas, ça rassure de se dire qu’on partage des préoccupations, de se dire qu’eux aussi sans doute ils ont envie de penser à autre chose, que la peur ne sert à rien, cette lumière tamisée comme un peu hors du temps, être dans l’instant présent et pourtant hors du temps, vous êtes bien, vous parlez, tout coule de source,
¨Photo Elisabeth B.
de cette source qui s’en revient chaque année de sa force vive abreuver et remettre la nature en mouvement, cette nature partout présente dans ta ville et cette lumière qui filtre et scintille entre les feuilles naissantes, le soleil a l’ingéniosité de venir illuminer chacune d’elle, fait écho à la lumière du bar comme une pulsation, comme un va-et-vient, de ces deux lumières tu te nourris, tu crois parfois devoir faire un choix.