Balade nocturne

Une envie de revenir à cette photo prise en mars. Je suivais cet homme. Bien involontairement je précise. Il me fallait traverser le canal pour me rendre à la soirée d’inauguration de la Foire du Livre. Il était environ 19h et au lieu de tourner à droite, vers le site de Tours et Taxis, je l’ai suivi. L’ombre portée de la rambarde du pont magnifiée par l’éclairage du chantier adjacent m’a rivée à son sillage et aujourd’hui je me demande encore comment cela a pu se produire. J’avais rendez-vous avec une amie à 19h30 et elle allait s’inquiéter si elle ne me voyait pas arriver. J’ai pourtant continué de suivre l’homme dans le dédale sinueux du chantier. Il marchait lentement donc j’ai dû adapter mon rythme pour qu’il ne soupçonne pas que quelqu’un marchait à sa suite. Le quadrillage de l’ombre avait quelque chose d’hypnotisant comme une toile dans laquelle je me suis laissé happer, comme un labyrinthe, ou les deux à la fois. Parvenu à l’autre bout du pont, et au sortir du chantier, l’homme a continué tout droit et s’est dirigé vers une rue plongée dans l’obscurité. Nous nous sommes donc enfoncés dans cette rue légèrement en pente. Tout au bout de la rue se profilait le haut clocher d’une église. Nous pressions le pas comme en direction de l’église. Il n’y avait aucun bruit dans la rue, aucune voiture ne circulait, il n’y avait pas un souffle de vent. J’avais peine à respirer et je me suis demandé s’il en allait de même pour l’homme. J’avais la certitude que le but ultime de ce périple nocturne était l’église et pourtant je n’avais pas l’impression que nous progressions. Nous marchions comme un seul homme. Plus nous avancions, plus l’église semblait s’éloigner. En réalité, l’église semblait avancer au même rythme que nous. Mais était-ce bien la réalité ? Je commençais à avoir quelques doutes. J’ai regardé l’heure sur mon téléphone et il était encore 19h. Je regardais les maisons et immeubles que nous longions et les numéros progressaient dans un ordre croissant. Nous marchions de plus en plus rapidement et il me semblait que plus je m’essoufflais plus l’homme devant moi accélérait. Je ne parvenais plus à le suivre, sa silhouette devenait de plus en plus petite jusqu’à devenir un point presque invisible. J’ai pu le suivre encore quelques secondes, du moins ce qui m’a paru comme étant des secondes, puis il a disparu et l’église aussi. Je me suis arrêtée, légèrement étourdie. Devant moi s’ouvrait l’entrée du site de Tours et Taxi. Il était 19h30.

Une dernière pour la route ?

Jour 30 – Me voici rendue à la fin de ce défi de 30 jours ! Trente fois se laisser emporter par une couleur. Ce ne sera certainement pas une grande révélation si je dis que le ressenti premier est la satisfaction d’être allée jusqu’au bout. Il y a eu une baisse de régime au niveau du jour 10, une hésitation à passer un jour et grouper deux entrées sur une même journée, mais tenir bon. Une sorte de routine s’installe, se dire que j’aurais pu continuer encore. Mieux cependant de s’arrêter quand on sent l’impulsion de poursuivre que de le faire dans une sorte d’illusion de contrainte qu’on s’imposerait. Un des enjeux de ce défi était de se remettre le pied à l’étrier. Case cochée !  Une dernière couleur pour la route. Rouge. Combien de fois suis-je déjà passée devant ce traiteur chinois, je regarde les objets kitsch présentés dans la vitrine. Mais si, après coup, on m’avait demandé la couleur de la façade, j’aurais été bien en peine de répondre.

Espaces verts

Jour 29 – Pour en revenir à la présence du végétal dans la ville qui, tu t’en serais défendue pourtant, ne semble pour toi pas aller de soi, dès lors qu’il est question de la couleur dans la ville. Tu ne peux t’empêcher de penser à Espèces d’espaces de Georges Perec que, en lisant L’espace commence ainsi de François Bon, tu as forcément relu, entre autres son chapitre sur la campagne avec lequel, même si tu ne t’y identifies pas totalement, tu ressens quand même une certaine familiarité. La ville et la campagne sont deux espaces distincts mais pour ces villes qui ont englobé de leurs tentacules les villages alentours, la frontière est devenue poreuse et en ces zones, la ville n’est plus tout à fait ville et la campagne plus tout à fait campagne. Tu n’as jamais vécu à la campagne, mais dans ta périphérie, un de ces anciens villages jadis absorbés, dans ton jardin en mode biodiversité, bien que proche d’une large avenue très fréquentée, tu t’y croirais presque. Il te semble que la couverture végétale de la ville, au-delà d’une certaine proportion, ne répond plus vraiment à la notion d’espace vert, typique de l’urbain, ce qui expliquerait que sa couleur n’est pas celle qui, d’emblée, te saute aux yeux.

(juillet 2023)

Une lueur dans ta ville

Jour 28 – Laisser le vert se réinviter. Cette boîte aux lettres d’un vert vif, éclatant, tu passes devant presque tous les jours. Dès le début, tu avais su qu’elle en serait et puis, avoue-le, discrète comme elle est, tu l’avais un peu oubliée tout comme son propriétaire semble la délaisser car, bien remplie, elle est paraît sur le point de déborder. Mais enfin une journée de printemps et le soleil la met en évidence, peut-être pour tes yeux seulement, elle rayonne, une lueur dans ta ville.

Capitale verte

Jour 27 – Et pourtant s’il y avait une couleur à retenir non pour la ville en général mais pour celle-ci en particulier, ce devrait être le vert puisque sa couverture végétale de 37% la place dans le peloton de tête des capitales les plus vertes de l’Union européenne. Ce vert du végétal, tu le mentionnes  seulement au jour 27 de ce défi, alors que si une couleur émerge de la grisaille qui enveloppe la ville quand le soleil est aux abonnés absents, c’est bien celle-là. Tu sais pourtant que tu t’en émerveilles à chaque fois, rien que ton jardin et ceux du voisinage, la forêt au cœur de laquelle la ville a repoussé ses limites et que tu foules chaque dimanche ou presque. Tu sais aussi que le trajet que tu suis plusieurs fois par semaine vers le lieu de travail, que tu creuses comme un sillon, n’est pas le plus vert de tous.  Mais ne te cherches pas d’excuses, c’est sous la lampe qu’il fait le moins clair, etc. Le végétal dans la ville n’est tout simplement pas ce que tu vas regarder en premier.

Magenta

Jour 26 – Certains jours sortir de la ville, traverser un rideau de grisaille et de pluie, pour arriver à une autre ville, tout aussi grise et pluvieuse, déjà du monde à l’arrivée, les gens font leurs courses pour le long week-end de Pâques,  ne plus avoir d’autre recours que les couleurs engrangées, tout au long du voyage, les couleurs thésaurisées pour les jours de disette, du rose, du fuchsia, une orchidée fuchsia, pourquoi pas,  la ville semble aimer le rose, être tirée de sa lecture un matin tôt dans le tram par le manteau magenta d’une femme, se demander si elle a choisi cette couleur uniquement parce qu’elle aime le magenta ou si elle le porte aussi pour illuminer la ville.

Glauque

Jour 25 – Les couleurs éteintes ont aussi leur beauté dans la ville. Qui les remarque ? Personne ou presque. On recherche le vif, le brillant l’éclatant pour conjurer la grisaille. Il est vrai, la couleur de ces panneaux vert-de-gris qui visaient à orner la façade d’un immeuble fatigué des années soixante est glauque. Sinistre peut-être, mais glauque désigne avant tout un vert grisé, la couleur de la mer ou la couleur des feuilles d’artichaut, des feuilles d’œillet ou d’eucalyptus. Michel Tournier estimait qu’il n’était pas inutile de rappeler que glauque veut dire vert et rutilant rouge. Je m’observe dans le miroir et, oui, mes yeux sont glauques.

Kiosque

Jour 24 – Ce kiosque d’Apérol Spritz, désaffecté, un peu triste, encore en hibernation.  Un rappel que l’été n’est pas encore à nos portes. Dehors le vent souffle, de lourds nuages gris effacent les dernières bandes de ciel bleu encore visibles. L’orange est une des couleurs de l’été. Plus encore que le jaune peut-être. Est-ce l’influence des jonquilles et des narcisses, stars du printemps ? C’est la couleur de l’Apérol Spritz. Saveurs d’oranges amères, de rhubarbe et de gentiane, prosecco et eau de Seltz. Mais ce n’est pas encore l’heure et tu te promets d’y retourner voir une fois l’été installé. Si le kiosque tient sa promesse.

Blême

Jour 23 – Tu sais d’emblée la couleur, non pas celle qui émergerait mais celle que tu irais chercher. Celle d’un livre repéré dans la vitrine de la bouquiniste. Seul parmi tous les autres, comme la couleur qui illumine la grisaille de la ville. Tu as acheté d’autres livres mais pas celui-là. Tu y retournes en espérant qu’il soit toujours là. Pour toi, c’était un film, pas un livre, tu ne te souvenais pas de l’histoire, seulement de l’actrice, Nathalie Baye. Tu ne connaissais pas son auteur, William Irish. C’est lui qui a écrit Fenêtre sur cour, ça tu l’apprends en écrivant ces lignes. La bouquiniste te fait un prix et tu emportes le précieux objet. Tu as déjà un livre de la Série Blême en édition originale de 1949, le numéro deux, Le puits de velours de John Gearon, J’ai épousé une ombre est le numéro un, publié en 1949 également. Couverture cartonnée de couleur vert foncé, encadrée de blanc crème, les caractères du titre sont rouges. Plus jeune, tu pensais que ce vert était blême, que la couverture était censée donner une impression de blêmeur. Il n’en est rien, le vert est foncé et soutenu, le rouge est vif. Mais si on mélange ces deux couleurs complémentaires, on obtient un gris qui peut être terne et sans éclat. J’ai épousé une ombre, titre mystérieux, fascinant, voire poétique, rien à voir avec son original froid, pragmatique et sans équivoque, I married a dead man.

Voir la couleur

Jour 21 –Il y a des jours où tu vois des couleurs partout dans la ville, tu pourrais parler de toutes, mais non tu as choisi de ne parler que d’une seule chaque jour, tel est le défi que tu t’es lancé, voici déjà 22 jours. Elles sont là toutes ces couleurs, elles éclatent, jaillissent, miroitent, scintillent longtemps encore sur l’écran intérieur de ta mémoire visuelle et puis elles se mélangent, se fondent, se diluent, s’affadissent pour finir par disparaître, sans laisser de traces, ou si peu.  A tel point que les jours où tu sors à peine, c’est-à-dire les jours où tu télétravailles, tu vas faire tes courses dans le quartier, tu te dépêches, tu n’as pas le temps, les couleurs que ce bout de ville te donne à voir,  que tu connais, qui t’ont déjà interpellée, que tu as déjà fait resplendir, mêlées, mélangées, ces couleurs ont fini par échapper à ton œil fatigué de trop d’écran.