Citadine depuis toujours, avec Itinéraires pluriels, je partage mon exploration photographique et littéraire de la ville (voir aussi Instagram: @itineraires_pluriels). Il y a la nature aussi, l’aquarelle, les médias mixtes (@catherine_koeckx_art). En 2021, j'ai publié Le Guide lovecraftien de Providence (disponible sur Amazon ou commande privée à catherine.koeckx@gmail.com). En 2023, j'ai publié Dedans la Ville aux Editions Novelas.
Tôt le matin, tables et chaises sont désertes. Décor urbain à souhait, tuyauterie d’aération, structures métalliques et briques nues. Vue sur rue embouteillée. À peine quelques personnes, en avance pour une réunion peut-être. Mais en général pas le temps de s’attarder, café et croissant à emporter. Chaises et tables colorées au coin de la rue.
Les cafétérias où se rendaient Lovecraft et ses amis à New York en 1925 comme le relate François Bon dans son projet #Lovecraft 1925, m’ont fait penser à celles que j’ai pu fréquenter dans ma vie alors que pourtant il n’y a rien de commun entre les unes et les autres. Chose qui certainement n’intéressera que moi.
La définition que nous en donne le Larousse en ligne est celle d’un « établissement généralement implanté dans un lieu de passage (centre commercial ou administratif, ensemble de bureaux, université, etc.), où l’on peut consommer des boissons, se restaurer, souvent en libre-service » tandis que le Oxford Dictionary nous dit : « a restaurant where you choose and pay for your meal before you carry it to a table. Cafeterias are often found in factories, colleges, hospitals, etc. ». Définitions similaires de part et d’autre de la Manche. Par contre, outre-Atlantique, le Merriam-Webster nous donne une acception plus générale du terme, à savoir qu’une cafétéria est un « restaurant in which the customers serve themselves or are served at a counter and take the food to tables to eat ». Cette définition donne en effet à penser que ces restaurants ne se situent pas nécessairement dans des entreprises ou des écoles mais que du temps de Lovecraft et plus tard aussi de tels établissements permettaient de se restaurer à moindre prix.
Les cafétérias n’ont jamais été des lieux particulièrement agréables, ni désagréables non plus du reste. A tel point, peut-être, qu’il m’est difficile de m’en souvenir. Des lieux à la décoration passe-partout, mobilier fonctionnel, rien qui attire le regard ou donne envie de s’attarder. Ce n’est pas le but, me direz-vous.
Quoique. On n’est pas censé y rester trop longtemps. Les critiques fusaient autrefois sur celui ou celle qui « passe son temps à la cafèt’ ». Le paradoxe est là, ne pas traîner à la cafèt’ mais s’y sentir bien quand même. Les cafétérias récemment aménagées, dans le contexte du « well-being at work » n’ont plus rien à voir avec leurs consoeurs d’un passé pas si éloigné que ça. Ici, intégration parfaite dans le lieu, panneaux muraux en bois composés de hautes lamelles verticales, des lampes suspensions formées également de lamelles en bois, hautes baies vitrées, tout rappelle la verticalité de la ville.
Mobilier en bois design, fauteuils et poufs en tissu, étagères, livres, tapis formés d’hexagones de tissu des mêmes couleurs que les canapés qu’on assemble comme un puzzle, c’est un lieu de convivialité, de travail et de détente. On aurait presqu’envie d’y rester, plongé dans le quartier, regarder la ville défiler.
D’habitude tu ne t’y rends pas le samedi. Une réunion indirectement liée t’a amenée dans ton quartier de travail. Les immeubles sont en retrait dans une brume qui ne s’est pas dissipée de la journée. Les reflets se confondent dans les vitres qui font écran et se répercutent timidement. Des cyclistes bravent le froid mordant et longent les quelques bandes de neige persistante, figée par le gel. Tu te demandes où ils vont, ils semblent aller tout droit vers ces bâtiments qui s’effacent dans leur halo de mystère. Ou bien se dirigent-ils vers cette lumière qui les surplombe et se glisse entre leurs silhouettes vaporeuses ?
La salle de réunion offre une vue sur le quartier, que tu ne connais pas. Des maisons aux toits enneigés calfeutrées au pied de l’immeuble fantomatiques, comme jadis autour d’une église. Une fin d’après-midi aux contours incertains, rien ne bouge. On se demande même si ces maisons sont habitées.
Une fenêtre illuminée comme en écho au halo des réverbères. La brume a tendu la main à la nuit. L’une s’est coulée dans l’autre, comme pour toi hier, mais pour l’heure, tu regardes ces bâtiments que dans leur éclairage nocturne tu vois sous un autre jour. Tu plonges dans la station de métro. Tu es passée devant le Kitty O’Shea et tu te dis qu’un de ces quatre tu viendrais bien y passer une soirée.
Un dimanche matin de fin d’été. Une nostalgie, ciel bleu où traînent quelques voiles blancs. Une lumière dorée irradie. Il a plu la nuit, les meubles de jardin sont mouillés. Tout est silence, le temps reprend son souffle, il respire. Seules brisent ce silence quelques corneilles qui croassent. J’aime ce bel oiseau noir aux reflets bleu irisé. D’autres petits oiseaux les imitent et chantent au loin. La fraîcheur pénètre les intérieurs alourdis. Savourer cet entre-deux, qu’il fasse soleil, qu’il pleuve ou vente, le savourer. Ne rien faire.
Reprendre la direction du bureau après 20 jours d’éloignement, congé et télétravail. Dans le tram, agitation au programme, on perd vite les habitudes. Les habitudes du monde. Du monde autour. Une jeune fille, cheveux courts, châtain tirant sur le roux, plaqués, yeux et sourcils clairs, à peine un peu de mascara, plusieurs colliers, plusieurs pendants d’oreille, je ne vois qu’un côté, vêtue de noir, dentelle et fine veste cintrée, un t-shirt noir à longues manches dont les extrémités lui enserrent les pouces, un jean très large jusqu’à mi-mollet, des chaussures noires montantes à lacets, elle pianote sur son téléphone. Je ne sais pourquoi je pense à la jeune fille à la perle et je me dis que Vermeer aujourd’hui l’aurait prise comme modèle.
Terminer la journée de la meilleur façon qui soit, par une petite sortie mère-fille, un afterwork dans un bar près de la Gare Centrale, déguster une IPA au soleil sur la terrasse, il fait beau, il fait même chaud, capricieuse météo généralisée, imprévisible, elle peut changer d’un instant à l’autre, reflet du chaos ambiant, garder le cap, ce moment mère-fille, une bulle hors du temps.
On ne le voit pas sur la photo mais le monde est dehors sur la terrasse, c’est jeudi, déjà le week-end s’invite dans les esprits.
On ne le voit pas sur la photo mais chaque jour sur cette place, tout au long de la journée, un groupe manifeste pour la libération de la Palestine.
Pourtant rêver d’être loin de tout, du brouhaha, du chaos, d’être près de la vie qui pulse pour rien d’autre que le simple fait d’être.
Il y avait les maisons typiquement néerlandaises, comme à Amsterdam mais en plus petit, il y avait les canaux, les bateaux, les voiliers, il y avait la mer, il y avait les écluses que l’on ouvre à la manivelle, les ponts qui se lèvent pour laisser passer les bateaux, il y avait les vélos, il y avait le calme. Nous étions parties pour une escapade mère-fille à Harlingen, en Frise.
Flâner le long des rues et des canaux, la saison n’a pas encore commencé, il y a peu de gens, peu de voitures. Flâner le long de la plage, face à la mer des Wadden*. Flâner dans le silence le long de cette mer sans vagues parcourue de bancs de sables, seuls se font entendre le cri des sternes ou le bêlement de quelques moutons qui paissent dans une bande herbeuse à deux pas de la plage. A part deux ou trois promeneurs, personne.
Penser à Lovecraft et se dire qu’il aurait aimé ces maisons. Imaginer dans les intérieurs tapissés de boiseries ses livres, sa Remington et son fauteuil Morris. Des quartiers plus proches du terminal de ferry, se dire que Jean Ray aurait pu y situer un de ses Contes du Whisky.
La ville, petite certes, mais le silence, la douceur de vivre. Des envies d’ailleurs. Des envies de prendre le ferry pour une des îles de la Frise, Une autre fois peut-être. Nous reviendrons, c’est certain.
La photo de couverture ne représente pas une femme figée dans un cri de détresse comme le suggère le titre du livre, et du film, « Je veux vivre ! ». Il faut avoir vu le film pour le savoir. L’action se passe en Californie au début des années cinquante. Les premières minutes du film relatent le passé de délinquance de Barbara Graham, une jeune femme qui a été serveuse, prostituée, trafiquante, racoleuse, danseuse dans des bars pour soldats en permission. La photo la montre presque en transe, dansant – ce qu’on ne voit pas – au son endiablé d’une paire de bongos devant des soldats et marins imbibés et pantelants. Elle passe un an en prison pour parjure. Jamais cependant, elle n’a commis de violences. Mariée trois fois, mère de deux enfants, elle retente le coup une quatrième fois, essaie de se construire une vie rangée en épousant un barman dont elle a un troisième enfant. De toute évidence, elle n’a de nouveau pas tiré le bon numéro, car elle va se lier à des amis criminels de son mari, petite frappe et drogué, et cette rencontre va sceller son destin.
De l’auteur du livre, Tabor Rawson, on ne sait rien, pas même si c’est un homme ou une femme. Le net renseigne que le prénom Tabor est de genre neutre porté en majorité par des hommes. On ne trouve rien à propos de cet auteur qui semble n’avoir écrit qu’un seul livre, I want to live ! The analysis of a murder, publié par The New American Library en 1958, avant de disparaître sans laisser de traces. La 4e de couverture mentionne qu’un film avec Susan Hayward a été tiré du livre alors que le générique indique qu’il est basé sur les articles de Ed Montgomery et les lettres de Barbara Graham. L’édition originale ne précise pas s’il s’agit d’un roman. La traduction française parue le 1er janvier 1959 chez Julliard est présentée comme le roman dont a été tiré le film. L’édition Marabout Collection, quant à elle, présente le livre comme un récit. Barbara Graham se retrouve mêlée au meurtre d’une femme lors d’un cambriolage au domicile de celle-ci auquel elle participe avec deux amis de son mari. Ils l’accusent du meurtre et bien qu’il n’y ait pas de véritable preuve que c’est bien elle qui a tué, ses antécédents judiciaires, notamment de parjure, sa tentative de se fabriquer un faux alibi et les articles à sensation de Ed Montgomery ont convaincu le jury de sa culpabilité et mené à sa condamnation à mort, suivie de son exécution par la chambre à gaz le 3 juin 1955 (le livre dit le 3 décembre).
Se revoir lisant Je veux vivre !, dans la chambre occupée lors de séjours dans la famille qui habitait les Ardennes. Quand tu as lu ce livre, tu y passais quelques semaines seule pendant les vacances d’été. Tu devais avoir quatorze ans. Le film venait de passer à la télé et tu l’avais regardé avec ta mère. Tu ne te souviens pas si elle avait déjà vu le film auparavant puisque il datait de 1958. Il vous a beaucoup impressionnées et ce d’autant plus qu’il relatait une histoire vraie, l’histoire d’une femme condamnée à mort pour un meurtre qu’elle n’a pas commis avec ce drame absolu que la preuve de son innocence a été apportée sur les lieux par dépêche juste après l’exécution. Ce film avait valu à son actrice, Susan Hayward, l’Oscar de la meilleure actrice pour son interprétation magistrale. Surprise et bonheur d’avoir trouvé le livre dont avait été tiré le film dans la bibliothèque paternelle. Se revoir assise là dans cette chambre, près de la fenêtre aux vitres teintées et croisillons de plomb qui la divisaient en une douzaine de rectangles identiques, fenêtre qui donnait sur le bois voisin. Ce n’est pas que tu adorais cette chambre, mais c’était le seul endroit où tu pouvais te retirer et lire, déjà ce besoin de retrait des ambiances alentour, qu’elles fussent agitées ou calmes. Enfant, tu vais eu peur dans cette chambre. Mais quand un rayon de soleil la traversait au beau milieu d’un après-midi, cette peur s’évanouissait. Et puis, tu écoutais L’imbécile heureux de Nicolas Peyrac.
C’est étrange comme un livre, ou un film, ce livre et ce film précisément, peuvent être à l’origine d’un mythe de jeunesse. Après ces vacances d’il y a longtemps, Je veux vivre ! s’en est retourné dormir dans sa bibliothèque. Ne plus te souvenir où il était rangé. Se dire qu’il n’a sans doute été lu qu’une ou deux fois tout au plus, qu’il a plusieurs fois été mis dans des cartons et balloté au gré des déménagements, avant sa lecture et après, le ressortir aujourd’hui, comme par un inexplicable appel, ou rappel, le livre comme mu par le besoin de sortir, de rappeler son existence, l’attrait pour le mystère, le noir et blanc d’un monde oublié. Il y a une dizaine d’années environ tu as acheté le dvd et tu ne l’as jamais regardé, tu ne comprenais pas pourquoi tu ne le regardais pas. Savoir qu’à coup sûr on ne peut vivre deux fois la même expérience, qu’il s’agisse de la deuxième lecture d’un livre ou du deuxième visionnage d’un film, l’expérience serait forcément différente. Le dvd est resté scellé dans son cellophane jusqu’à un soir de cette semaine. Tu ne te souviens de rien sauf des scènes du couloir de la mort et des reports d’exécution de deux fois quarante-cinq minutes, dans ton souvenir c’était des reports de plusieurs jours. Puis arrive la scène finale, après l’exécution, la scène que tu attends, la scène pour toi mythique, où l’on apporte la preuve de l’innocence de Barbara Graham. La voiture arrive, son avocat qui s’est battu jusqu’à la fin pour la faire gracier en descend, il tend une enveloppe au journaliste Ed Montgomery. Tu trouves étrange que l’avocat remette cette missive importante au journaliste. Il lit la lettre, Barbara Graham le remercie de tout ce qu’il a fait pour elle. Là tu te dis que quelque chose a dû t’échapper, tu saisis le livre, tu feuillettes, tu cherches, ce dénouement se trouve au début du livre et la même scène y est décrite. Nulle part il n’est question de preuve de l’innocence de Barbara Graham apportée juste après sa mort. Tu te rends compte que tu avais mal compris ou pas voulu comprendre, que tu t’es inventé une fin plus acceptable, plus romanesque, que la culpabilité pure et simple, mais non avérée, de cette femme. Une femme qui crie « Je veux vivre ! » ne pouvait qu’être innocente.
Texte écrit sur une proposition de François Bon pour l’atelier d’écriture Tiers Livre, Recherche sur la nouvelle.
Jour 30 – Me voici rendue à la fin de ce défi de 30 jours ! Trente fois se laisser emporter par une couleur. Ce ne sera certainement pas une grande révélation si je dis que le ressenti premier est la satisfaction d’être allée jusqu’au bout. Il y a eu une baisse de régime au niveau du jour 10, une hésitation à passer un jour et grouper deux entrées sur une même journée, mais tenir bon. Une sorte de routine s’installe, se dire que j’aurais pu continuer encore. Mieux cependant de s’arrêter quand on sent l’impulsion de poursuivre que de le faire dans une sorte d’illusion de contrainte qu’on s’imposerait. Un des enjeux de ce défi était de se remettre le pied à l’étrier. Case cochée ! Une dernière couleur pour la route. Rouge. Combien de fois suis-je déjà passée devant ce traiteur chinois, je regarde les objets kitsch présentés dans la vitrine. Mais si, après coup, on m’avait demandé la couleur de la façade, j’aurais été bien en peine de répondre.
Jour 29 – Pour en revenir à la présence du végétal dans la ville qui, tu t’en serais défendue pourtant, ne semble pour toi pas aller de soi, dès lors qu’il est question de la couleur dans la ville. Tu ne peux t’empêcher de penser à Espèces d’espaces de Georges Perec que, en lisant L’espace commence ainsi de François Bon, tu as forcément relu, entre autres son chapitre sur la campagne avec lequel, même si tu ne t’y identifies pas totalement, tu ressens quand même une certaine familiarité. La ville et la campagne sont deux espaces distincts mais pour ces villes qui ont englobé de leurs tentacules les villages alentours, la frontière est devenue poreuse et en ces zones, la ville n’est plus tout à fait ville et la campagne plus tout à fait campagne. Tu n’as jamais vécu à la campagne, mais dans ta périphérie, un de ces anciens villages jadis absorbés, dans ton jardin en mode biodiversité, bien que proche d’une large avenue très fréquentée, tu t’y croirais presque. Il te semble que la couverture végétale de la ville, au-delà d’une certaine proportion, ne répond plus vraiment à la notion d’espace vert, typique de l’urbain, ce qui expliquerait que sa couleur n’est pas celle qui, d’emblée, te saute aux yeux.
Jour 28 – Laisser le vert se réinviter. Cette boîte aux lettres d’un vert vif, éclatant, tu passes devant presque tous les jours. Dès le début, tu avais su qu’elle en serait et puis, avoue-le, discrète comme elle est, tu l’avais un peu oubliée tout comme son propriétaire semble la délaisser car, bien remplie, elle est paraît sur le point de déborder. Mais enfin une journée de printemps et le soleil la met en évidence, peut-être pour tes yeux seulement, elle rayonne, une lueur dans ta ville.
Jour 27 – Et pourtant s’il y avait une couleur à retenir non pour la ville en général mais pour celle-ci en particulier, ce devrait être le vert puisque sa couverture végétale de 37% la place dans le peloton de tête des capitales les plus vertes de l’Union européenne. Ce vert du végétal, tu le mentionnes seulement au jour 27 de ce défi, alors que si une couleur émerge de la grisaille qui enveloppe la ville quand le soleil est aux abonnés absents, c’est bien celle-là. Tu sais pourtant que tu t’en émerveilles à chaque fois, rien que ton jardin et ceux du voisinage, la forêt au cœur de laquelle la ville a repoussé ses limites et que tu foules chaque dimanche ou presque. Tu sais aussi que le trajet que tu suis plusieurs fois par semaine vers le lieu de travail, que tu creuses comme un sillon, n’est pas le plus vert de tous. Mais ne te cherches pas d’excuses, c’est sous la lampe qu’il fait le moins clair, etc. Le végétal dans la ville n’est tout simplement pas ce que tu vas regarder en premier.