Inlassablement

Jour 9 – Cette maison ne passe pas inaperçue entre ses classiques voisines. Elle tient bon. Et pourtant avec les années – ce n’est pas d’aujourd’hui qu’elle arbore cette belle couleur jaune – elle   semble lentement se ternir. Certes les gaz d’échappement y sont certainement pour quelque chose, mais  je me suis demandé si, comme nous parfois, malgré elle et sans y prendre garde, elle ne se laisserait pas, gagner par la morosité ambiante ? Arpenter inlassablement, même sur un court tronçon, et toujours repérer la couleur qui, pour ce jour encore, illuminera ton chemin.

Jaune soleil

Jour 8 – Station de métro jaune soleil, jaune canari, jaune citron, ça donne du peps, surtout un jour de grève où les transports sont perturbés. C’est une station où tu passes rarement, tu n’avais pas encore vu ce jaune vif, tu aurais aimé t’attarder pour t’en imprégner. Pas le temps. Tu étais partie plus tôt pour finalement arriver à la même heure que d’habitude à cause de la grève. La pluie s’est fait plus discrète ce matin, mais le ciel reste imperturbablement gris et pourtant la couleur fuse de partout pour qui sait s’en saisir, pour qui sait capter dans l’instant fugace ce qui lui est donné à voir, jusque dans les détritus qui ornent les trottoirs dans des bacs dont on ne sait à quel usage ils étaient destinés.

Rêver

Jour 7 – La couleur de la ville, parfois tu dois la rêver, au-delà du rideau de pluie qui n’a décidément pas envie de s’ouvrir. Regarder en toi les couleurs qu’elle a déposées la ville pour les jours de disette, t’en saisir dans les moments difficiles, quand tu sais que le défi de sortir tu ne le relèveras pas ou peine, quelques pas rapides jusqu’à ta voiture, direction le cours de yoga, quelques pas rapides à nouveau, capuche presque devant les yeux, tu ne regardes pas autour de toi. Demain pas d’autre choix, tu sortiras.

Dubai

Jour 6 – Rêver de Dubaï pour mettre de la couleur dans la ville ? Pour le dire franchement, non, ce n’est pas Dubaï qui t’a attirée, c’est la fleur de lotus fuchsia et rose pâle, la fleur de la transcendance, la fleur qui irradie et illumine, celle que tu rêves de voir un jour en vrai. Tu passes souvent devant ce lieu mais tu n’as jamais vu personne y entrer ou en sortir. Cette enseigne tape à l’œil a le mérite, au moins, de mettre de la couleur dans cette journée de printemps qui fait grise mine.

Les tags c’est la ville ?

Jour 5 – Je ne connais pas assez la vie des villages pour affirmer qu’ils y sont présents en nombre, ou pas, discrètement ou pas. Au début, leur présence dans la ville avait un goût de liberté, de révolution, ou tout simplement de protestation. L’élaboration et la beauté de certains d’entre eux, leur côté éphémère, leur récurrence ont conduit à la naissance d’un mouvement artistique : l’art urbain ou street art. Mais la masse des tags ordinaires qui couvrent les murs de la ville, peu de gens y prêtent encore attention, ils sont là, ils se sont fondus dans les murs et les façades. Et puis il y en a un qui t’éclate presque à la figure, quand tu navigues le matin dans le gris de la ville, dans ton brouillard intérieur qui ne s’est pas encore levé, des lettres, des graphismes, tu ne sais trop, jaune pétant, rouge pétant, qui se détachent sur fond de vieille porte de garage à lamelles, grises évidemment. La couleur est là, partout. Il suffit d’ouvrir les yeux.

Sortir

Jour 4 – Un défi dans le défi : sortir, sortir pour repérer la couleur qui fera trace aujourd’hui. Sortir de chez toi quand tu fais du télétravail est un défi en soi. Le matin, avant de te connecter ? C’est très peu probable. Pendant ? C’est rarement possible. Mais plausible. Après ? Tu n’en as plus envie.  Tu as pris prétexte de courses pour partir à sa recherche. Il y a des couleurs fixes, celles de bâtiments, des enseignes, des panneaux publicitaires, des tags, tu les vois à peine, elles se fondent et se mélangent, s’échappent de part et d’autre de ton regard. L’une ou l’autre l’accrochent, tu te dis que tu la gardes en réserve pour un autre jour. Il y a des couleurs mouvantes. Au coin de la rue, tu ne t’y attends pas, le tram surgit bardé de rouge, publicité et slogans, tu as à peine le temps de le saisir dans ton téléphone. Le rouge a disparu.

La femme au béret fuchsia

Jour 3 – Dans le métro, plongée dans ma lecture, je lève la tête, je vois le béret fuchsia et je ne vois que lui, tout le reste n’est que brouillard autour, les gens, les stations où le métro s’arrête, tout. La femme au béret fuchsia est assise en face de moi. Une femme d’un certain âge, les yeux rivés à son téléphone, le doigt animé de ce mouvement caractéristique du bas vers le haut qui fait défiler les posts très probablement sur Instagram. Elle, toute vêtue de bleu foncé, de noir, foulard à motifs gris clair et blancs, un sac bleu nuit avec sur le devant un grand papillon bleu et blanc aux ailes ornées de brillants et sur le dessous des motifs têtes de mort imprimés en creux. Même les montures de ses lunettes sont bleu foncé. J’ai tenté de la photographier discrètement quand à ce moment précis mon téléphone s’est éteint, pour me rappeler sans doute que photographier les gens d’aussi près, à leur insu, est inapproprié. Elle a rangé son téléphone, a fermé les yeux un bref instant, pour s’en ressaisir aussi vite et se remettre à faire défiler les posts, imperturbablement, sans imaginer que le souvenir de son béret fuchsia serait emporté dans les méandres du web.

Echos

Jour 2 – Echo, déjà, à l’image d’hier, deux images qui se répondent, deux couleurs qui se font écho, d’une image à l’autre, de l’une à l’autre, d’une journée à l’autre et serait-ce anticiper de dire que d’échos il sera sans doute beaucoup question dans cette série d’images et d’occurrences ? Oui, mais si la couleur d’aujourd’hui – et son écho – n’était pas celle que l’on croit, et si une autre s’était invitée, qui arrête le regard, comme un point d’orgue, pour l’emmener au loin, vers sa fuite ?

Défi

Jour 1 – Doucement revenir, doucement sortir les mots de leur hibernation, doucement revoir la couleur dans la grisaille de la ville en ce printemps humide, froid et gris. Pourquoi pas se lancer un défi quotidien, chaque jour pendant trente jours repérer une couleur qui émerge du gris et en rendre compte, une couleur qui se distinguera des autres, du moins pour toi, pour ton œil qui l’épinglera sur la trame de fond à laquelle souvent on ne prête pas attention. Cinq ou six lignes pas plus, en mode carnet, un défi pour arrêter de procrastiner, pour refaire des gammes. Voir où ce rendez-vous quotidien va te mener, quelle exploration il va générer, les questions qu’il va poser, quels chemins intérieurs il te fera emprunter. Tu ne sais pas, tu pars à l’aveuglette. Aujourd’hui, jour 1, tu as vu ce bleu des jacinthes, intense, profond, mauve, mêlé de rouge qui se découpe sur le ciel morose et, comme en écho, celui des arabesques bleues sur fond gris du pot qui les contient. La ville est au loin tu la devines, quelques bâtiments en surplomb, leurs silhouettes sont floues, les bruits étouffés, Les jacinthes bleues n’ont que faire de la ville…

La vie à l’extérieur

Regarder la vie à l’extérieur, c’est dehors que ça se passe, il paraît, la ville c’est dehors, dans le sens « hors de chez soi », l’imaginer bruyante, toujours en mouvement, se tapir dans l’ombre et l’observer, fascination de ces lamelles de jalousies qu’on peut orienter comme on veut, repenser à cette affiche de film avec Richard Gere, ombre mystérieuse sur les murs éclairés par le clair de lune, souvent préférer rester à l’intérieur, ne pas avoir envie des injonctions estivales du tout à l’extérieur, les pelouses des parcs couvertes de monde, les terrasses des cafés prises d’assaut, les humains lâchés pires que des fauves.

Ce bleu de la nuit qui s’approche, sa profondeur douce qui annonce le repos, cette danse de couleurs qui nous est offerte, du gris pour le sommeil, du rose pour le rêve, la lumière s’efface peu à peu, se dilue dans le lointain, attraper le téléphone pour saisir l’instant fugace.

Des perles vert tendre s’accrochent aux branches de l’arbre qui n’en peuvent plus de rester dénudées, elles parsèment le feuillage naissant telles des guirlandes de lumière sous la caresse du soleil encore timide, elles le captent dans toute sa brillance et c’est l’éclat subtil de sa luminosité qui nous dit que le printemps est là.