Carnet de murmures

par Françoise Renaud

Déjà le livre de Françoise Renaud est un bel objet. Ses créations photographiques aux motifs organiques illustrent la couverture et les intitulés de chapitres sur double page. Elles ravissent l’œil. La couverture, épaisse, légèrement gaufrée invite au toucher, à prendre le livre à pleines mains comme pour nous donner la un avant-goût de la matière rugueuse, fibreuse qui nous est offerte au long des pages.

Après avoir parcouru le monde et son pays, vécu en Languedoc, Françoise décide de s’établir plus au Nord, en Limousin, poussée par la dégradation climatique. En une infinité de touches délicates, ciselées par la finesse des mots, elle nous conte son installation sur ses nouvelles terres.

Elle consigne dans ce Carnet l’élégance des aigrettes au plumage blanc comme irréelles dans leur lent déplacement vers l’eau, les lichens incrustés dans les murs pareils à des runes, les haies aux fruits desséchés et les taillis impénétrables. Nous lui emboîtons le pas avec entrain au fil des saisons de cette première année où elle arpente le domaine, visite les parcelles plantées de légumes et bientôt d’arbres fruitiers, on se prend d’affection pour les trois jolies poules. Le ciel nous envahit, comme la vibration des arbres et le chant mélancolique des oiseaux. On respire l’odeur du bois et de l’humus, on déguste fraises,  framboises, courgettes jaunes, poivrons verts et rouges. C’est un livre pour tous les sens.

Même si parfois la nature se met en colère, nous envoie ses éclairs et ses coups de tonnerre, souvent elle nous offre le silence de la neige, le frémissement de l’herbe sous le vent, le bruissement des ramures. De page en page, Françoise rapporte ce que la nature lui murmure. Et c’est à nous aussi qu’elle murmure.

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En lisant le Carnet de murmures, j’ai moi aussi envie de errer dans les friches et frôler les forêts, d’observer  les bourgeons fragiles, la peau mouillée d’une salamandre, de me poser et  me garder à l’affût dans l’imperceptible étirement du jour. Un livre qui restera à mes côtés.

Captured with VisionCamera by mrousavy

Suivre les perles de lumière

Un week-end lumineux à chiner les vieux livres à Redu un village du Sud de la Belgique dit Village du Livre où Marilyn côtoie Rabelais et Khnopff. Je ne vais pas ergoter sur le nombre de librairies qu’il compte encore aujourd’hui à savoir huit dont deux sont en passe de mettre la clé sous le paillasson contre vingt-quatre à son heure de gloire il y a quarante ans ou sur la situation du livre à l’heure actuelle, les jeunes ne lisent plus, les réseaux sociaux, il faut diversifier, ne pas se centrer sur le livre seulement, etc. 

Une échappée tout simplement comme en proposent les fenêtres soulignées de livres d’une des librairies les plus belles et les plus fournies du village. Le plaisir de trouver un magnifique livre sur les phares des Etats-Unis à 4€, d’espérer trouver un livre sur Khnopff et d’en trouver deux ou encore des vintage books, Miss Read et Muriel Spark.

Et puis le retour à Bruxelles, les journées au bureau, grises et pluvieuses et se demander si des gens parfois jettent encore des bouteilles à la mer. Le net nous dit que si l’on veut jeter une bouteille à la mer il faut éviter les bouteilles en plastique… Je ne savais pas que dans l’urgence on avait le choix. Quand l’été approche, envie à chaque fois d’emboîter le pas des aventuriers Corto Maltese ou le baroudeur Blaise Cendrars mais pour cette année ce sera encore sous le parasol de ma terrasse. Mais en tout cas c’est certain, j’irai voir les oloés en juin à Paris avec Anne Savelli.

La grisaille a fait un bref retour et c’est la couleur qui s’invite, c’est elle qui accroche l’œil et le sort des pages dans lesquelles il s’était enfermé non sans un plaisir certain, celui des instants volés (à propos, le métro est un de mes oloés) à une journée qu’il passera scotché à un écran, mais il y a la vue sur Bruxelles, qui lui permettra de regarder loin, de faire se bouger le muscle qui le maintient et de lui en conserver l’élasticité.

Suivre les perles de lumière.

Un dimanche de fin d’été

Un dimanche matin de fin d’été. Une nostalgie, ciel bleu où traînent quelques voiles blancs. Une lumière dorée irradie. Il a plu la nuit, les meubles de jardin sont mouillés. Tout est silence, le temps reprend son souffle, il respire. Seules brisent ce silence quelques corneilles qui croassent. J’aime ce bel oiseau noir aux reflets bleu irisé. D’autres petits oiseaux les imitent et chantent au loin. La fraîcheur pénètre les intérieurs alourdis. Savourer cet entre-deux, qu’il fasse soleil, qu’il pleuve ou vente, le savourer.  Ne rien faire.

Harlingen

Il y avait les maisons typiquement néerlandaises, comme à Amsterdam mais en plus petit, il y avait les canaux, les bateaux, les voiliers, il y avait la mer, il y avait les écluses que l’on ouvre à la manivelle, les ponts qui se lèvent pour laisser passer les bateaux, il y avait les vélos, il y avait le calme. Nous étions parties pour une escapade mère-fille à Harlingen, en Frise.

Flâner le long des rues et des canaux, la saison n’a pas encore commencé, il y a peu de gens, peu de voitures. Flâner le long de la plage, face à la mer des Wadden*. Flâner dans le silence le long de cette mer sans vagues parcourue de bancs de sables, seuls se font entendre le cri des sternes ou le bêlement de quelques moutons qui paissent dans une bande herbeuse à deux pas de la plage. A part deux ou trois promeneurs, personne.

Penser à Lovecraft et se dire qu’il aurait aimé ces maisons. Imaginer dans les intérieurs tapissés de boiseries ses livres, sa Remington et son fauteuil Morris. Des quartiers plus proches du terminal de ferry, se dire que Jean Ray aurait pu y situer un de ses Contes du Whisky.

La ville, petite certes, mais le silence, la douceur de vivre. Des envies d’ailleurs. Des envies de prendre le ferry pour une des îles de la Frise, Une autre fois peut-être. Nous reviendrons, c’est certain.

Espaces verts

Jour 29 – Pour en revenir à la présence du végétal dans la ville qui, tu t’en serais défendue pourtant, ne semble pour toi pas aller de soi, dès lors qu’il est question de la couleur dans la ville. Tu ne peux t’empêcher de penser à Espèces d’espaces de Georges Perec que, en lisant L’espace commence ainsi de François Bon, tu as forcément relu, entre autres son chapitre sur la campagne avec lequel, même si tu ne t’y identifies pas totalement, tu ressens quand même une certaine familiarité. La ville et la campagne sont deux espaces distincts mais pour ces villes qui ont englobé de leurs tentacules les villages alentours, la frontière est devenue poreuse et en ces zones, la ville n’est plus tout à fait ville et la campagne plus tout à fait campagne. Tu n’as jamais vécu à la campagne, mais dans ta périphérie, un de ces anciens villages jadis absorbés, dans ton jardin en mode biodiversité, bien que proche d’une large avenue très fréquentée, tu t’y croirais presque. Il te semble que la couverture végétale de la ville, au-delà d’une certaine proportion, ne répond plus vraiment à la notion d’espace vert, typique de l’urbain, ce qui expliquerait que sa couleur n’est pas celle qui, d’emblée, te saute aux yeux.

(juillet 2023)

Capitale verte

Jour 27 – Et pourtant s’il y avait une couleur à retenir non pour la ville en général mais pour celle-ci en particulier, ce devrait être le vert puisque sa couverture végétale de 37% la place dans le peloton de tête des capitales les plus vertes de l’Union européenne. Ce vert du végétal, tu le mentionnes  seulement au jour 27 de ce défi, alors que si une couleur émerge de la grisaille qui enveloppe la ville quand le soleil est aux abonnés absents, c’est bien celle-là. Tu sais pourtant que tu t’en émerveilles à chaque fois, rien que ton jardin et ceux du voisinage, la forêt au cœur de laquelle la ville a repoussé ses limites et que tu foules chaque dimanche ou presque. Tu sais aussi que le trajet que tu suis plusieurs fois par semaine vers le lieu de travail, que tu creuses comme un sillon, n’est pas le plus vert de tous.  Mais ne te cherches pas d’excuses, c’est sous la lampe qu’il fait le moins clair, etc. Le végétal dans la ville n’est tout simplement pas ce que tu vas regarder en premier.

Rêver de l’ailleurs

Jour 13 – Se laisser appeler par l’intériorité, ressourcement, retrait, rêver de l’ailleurs, de paysages, de jardins, des couleurs que tu peins, la ville est proche et lointaine à la fois, du jardin de rêve au jardin intérieur, lieu commun peut-être, il n’y a qu’un pas et tu le franchis allègrement. Tirer le rideau, le carré rouge encore, se retrancher derrière ses feuilles qui surgissent comme des flammes, la ville est loin, dans un univers parallèle, il a fini par pleuvoir, tout est flou, tu peins des fleurs.

Surgissement

Jour 12 – La couleur comme un éclatement, vers le ciel gris pâle, contraste du rouge sur le blanc crème de l’immeuble, à quoi penses-tu quand tu choisis la couleur ? En réalité, choisis-tu la couleur ou est-ce elle qui te choisit ? Que se passe-t-il au moment où tu décides de saisir ton téléphone et de prendre la photo ? Parfois tu dois agir vite, il y a des gens autour, pas possible de s’attarder ni de prendre ostensiblement des photos, pas toujours le temps de faire plusieurs cadrages. D’autres fois tu es seule dans la rue et tu ne t’attardes pas non plus.  Les photos tu les veux spontanées. La couleur comme surgissement, les mots suivront-ils le même chemin ?

La vie à l’extérieur

Regarder la vie à l’extérieur, c’est dehors que ça se passe, il paraît, la ville c’est dehors, dans le sens « hors de chez soi », l’imaginer bruyante, toujours en mouvement, se tapir dans l’ombre et l’observer, fascination de ces lamelles de jalousies qu’on peut orienter comme on veut, repenser à cette affiche de film avec Richard Gere, ombre mystérieuse sur les murs éclairés par le clair de lune, souvent préférer rester à l’intérieur, ne pas avoir envie des injonctions estivales du tout à l’extérieur, les pelouses des parcs couvertes de monde, les terrasses des cafés prises d’assaut, les humains lâchés pires que des fauves.

Ce bleu de la nuit qui s’approche, sa profondeur douce qui annonce le repos, cette danse de couleurs qui nous est offerte, du gris pour le sommeil, du rose pour le rêve, la lumière s’efface peu à peu, se dilue dans le lointain, attraper le téléphone pour saisir l’instant fugace.

Des perles vert tendre s’accrochent aux branches de l’arbre qui n’en peuvent plus de rester dénudées, elles parsèment le feuillage naissant telles des guirlandes de lumière sous la caresse du soleil encore timide, elles le captent dans toute sa brillance et c’est l’éclat subtil de sa luminosité qui nous dit que le printemps est là.

Cailloux sur le chemin

Ce n’est pas toi qui habites la ville, c’est elle qui t’habite. Dualité. Deux photos pour toi identiques. Forêt et ville. Dans une même ville, celle qui t’habite. Centre et périphérie. Racines et verticalité. Mots-clés comme cailloux sur le chemin. Dualité (de la ville) qui t’habite, les parenthèses ont leur importance.