Un dimanche de fin d’été

Un dimanche matin de fin d’été. Une nostalgie, ciel bleu où traînent quelques voiles blancs. Une lumière dorée irradie. Il a plu la nuit, les meubles de jardin sont mouillés. Tout est silence, le temps reprend son souffle, il respire. Seules brisent ce silence quelques corneilles qui croassent. J’aime ce bel oiseau noir aux reflets bleu irisé. D’autres petits oiseaux les imitent et chantent au loin. La fraîcheur pénètre les intérieurs alourdis. Savourer cet entre-deux, qu’il fasse soleil, qu’il pleuve ou vente, le savourer.  Ne rien faire.

Une bulle hors du temps

Reprendre la direction du bureau après 20 jours d’éloignement, congé et télétravail. Dans le tram, agitation au programme, on perd vite les habitudes. Les habitudes du monde. Du monde autour. Une jeune fille, cheveux courts, châtain tirant sur le roux, plaqués, yeux et sourcils clairs, à peine un peu de mascara, plusieurs colliers, plusieurs pendants d’oreille, je ne vois qu’un côté, vêtue de noir, dentelle et fine veste cintrée, un t-shirt noir à longues manches dont les extrémités lui enserrent les pouces, un jean très large jusqu’à mi-mollet, des chaussures noires montantes à lacets, elle pianote sur son téléphone. Je ne sais pourquoi je pense à la jeune fille à la perle et je me dis que Vermeer aujourd’hui l’aurait prise comme modèle.

Terminer la journée de la meilleur façon qui soit, par une petite sortie mère-fille, un afterwork dans un bar près de la Gare Centrale, déguster une IPA au soleil sur la terrasse, il fait beau, il fait même chaud, capricieuse météo généralisée, imprévisible, elle peut changer d’un instant à l’autre, reflet du chaos ambiant, garder le cap, ce moment mère-fille, une bulle hors du temps.

On ne le voit pas sur la photo mais le monde est dehors sur la terrasse, c’est jeudi, déjà le week-end s’invite dans les esprits.

On ne le voit pas sur la photo mais chaque jour sur cette place, tout au long de la journée, un groupe manifeste pour la libération de la Palestine.

Pourtant rêver d’être loin de tout, du brouhaha, du chaos, d’être près de la vie qui pulse pour rien d’autre que le simple fait d’être.

Voir la couleur

Jour 21 –Il y a des jours où tu vois des couleurs partout dans la ville, tu pourrais parler de toutes, mais non tu as choisi de ne parler que d’une seule chaque jour, tel est le défi que tu t’es lancé, voici déjà 22 jours. Elles sont là toutes ces couleurs, elles éclatent, jaillissent, miroitent, scintillent longtemps encore sur l’écran intérieur de ta mémoire visuelle et puis elles se mélangent, se fondent, se diluent, s’affadissent pour finir par disparaître, sans laisser de traces, ou si peu.  A tel point que les jours où tu sors à peine, c’est-à-dire les jours où tu télétravailles, tu vas faire tes courses dans le quartier, tu te dépêches, tu n’as pas le temps, les couleurs que ce bout de ville te donne à voir,  que tu connais, qui t’ont déjà interpellée, que tu as déjà fait resplendir, mêlées, mélangées, ces couleurs ont fini par échapper à ton œil fatigué de trop d’écran.

La vie à l’extérieur

Regarder la vie à l’extérieur, c’est dehors que ça se passe, il paraît, la ville c’est dehors, dans le sens « hors de chez soi », l’imaginer bruyante, toujours en mouvement, se tapir dans l’ombre et l’observer, fascination de ces lamelles de jalousies qu’on peut orienter comme on veut, repenser à cette affiche de film avec Richard Gere, ombre mystérieuse sur les murs éclairés par le clair de lune, souvent préférer rester à l’intérieur, ne pas avoir envie des injonctions estivales du tout à l’extérieur, les pelouses des parcs couvertes de monde, les terrasses des cafés prises d’assaut, les humains lâchés pires que des fauves.

Ce bleu de la nuit qui s’approche, sa profondeur douce qui annonce le repos, cette danse de couleurs qui nous est offerte, du gris pour le sommeil, du rose pour le rêve, la lumière s’efface peu à peu, se dilue dans le lointain, attraper le téléphone pour saisir l’instant fugace.

Des perles vert tendre s’accrochent aux branches de l’arbre qui n’en peuvent plus de rester dénudées, elles parsèment le feuillage naissant telles des guirlandes de lumière sous la caresse du soleil encore timide, elles le captent dans toute sa brillance et c’est l’éclat subtil de sa luminosité qui nous dit que le printemps est là.

Cailloux sur le chemin

Ce n’est pas toi qui habites la ville, c’est elle qui t’habite. Dualité. Deux photos pour toi identiques. Forêt et ville. Dans une même ville, celle qui t’habite. Centre et périphérie. Racines et verticalité. Mots-clés comme cailloux sur le chemin. Dualité (de la ville) qui t’habite, les parenthèses ont leur importance.

La ville mais comme en dehors

Te dire que tu habites la ville et pourtant tu es comme en dehors comme tu pourrais te dire que tu es dans la vie et pourtant tu te sens comme en dehors, oui mais quelle vie, celle de tout ce grouillement qui déferle dans les rues quoique, oui, mais ça c’était avant… est-ce que ça déferle encore ? Provisoirement tu n’es plus là pour le voir. Pourtant, il semble que tout revienne à la normale. « Avant », « la normale », de quoi parle-t-on ? Y a-t-il une vie meilleure qu’une autre ? La vie c’est la vie, elle est. Point. Elle n’a rien demandé à personne. Tu es dans ta vie. Peut-on choisir de se retirer du déferlement ? Tu as eu la possibilité de faire ce choix-là. Tu es dans la ville et pourtant en dehors. Chaque matin tu vois ces deux bâtiments, l’un récemment revêtu de lattes de bois qui sous ces latitudes pluvieuses fait déjà grise mine, l’autre blanc lumineux avec ses vitres comme des miroirs, ces deux bâtiments qui avant n’y étaient pas, une large avenue passe en contre-bas mais tu ne la vois pas grâce aux jardins qui font tampon. Tu entends la rumeur du trafic et des trams qui passent, étouffée par la végétation. Entre les deux et de l’autre côté de l’avenue, un vieux bâtiment gris aux vitres roses qui te fait penser à un bunker. Tu aimes regarder ces bâtiments chaque matin depuis ta large baie vitrée, tu aimes regarder ces jardins, tu es dans la ville et tu es comme en dehors.

Jour de tempête

Te dire qu’avec un argentique jamais tu n’aurais pris cette photo. Une plante devant une fenêtre, photo divisée par une ligne verticale, un tiers deux tiers, certaines feuilles sont dans l’ombre d’autres dans la lumière de cette journée sombre de février, les feuilles de forme ellipsoïdale sont tombantes, certaines se terminent par une pointe très allongée, de fines tiges les relient entre elles à la tige principale, dans le tiers de gauche on aperçoit trois feuilles surmontées d’une guirlande de lumières, toutes les autres, une quinzaine, se situent dans le tiers de droite, elles masquent l’extérieur comme un rideau, lui même tenu à distance par un rideau de pluie, tout est gris, blanc, ouaté, sans relief, c’est un jour de tempête, un jour d’intériorité.