Par là Paris

Dans le cadre de son projet « Par là Paris », le collectif L’aiR Nu (Littérature Radio Numérique) organise, en collaboration avec les mairies d’arrondissements, des déambulations littéraires appelées « Bulles d’aiR » menées par Anne Savelli et Joachim Séné suivies d’ateliers d’écriture. S’y ajoute le projet Jacqueline où des Parisien.ne.s racontent leurs souvenirs de Paris L’idée est de réaliser un plan numérique de Paris qui propose pour chaque lieu surligné, les extraits sonores des textes écrits par les participants, des morceaux choisis de la littérature classique ou contemporaines lus par Anne et Joachim, ou encore des photos. « Par là Paris », c’est Par ici

Le mardi 19 août, nous démarrons de la bibliothèque Vaclav Havel, Esplanade Nathalie Sarraute dans le 18e pour arriver à la Bibliothèque Hergé, rue du Département dans le 19e et le mercredi 20 août, nous faisons le contraire. Nous accompagnent, lus  tout au long des balades par Anne et Joachim, et sélectionnés par leurs soins, des extraits de Ici, de Nathalie Sarraute, Allo la Place de Nassera Tamer, L’invention de Paris de Eric Hazan, Sido de Colette, Stations (entre le lignes) de Jeanne Sautière, Notre vie n’est que mouvement de Lou Sarabdzic, Especes d’espaces de Georges Perec, Le piéton de Paris de Léon-Paul Fargue, pour n’en citer que quelques-uns.

Bulle d’aiR du 19 août 2025

Jardin d’Éole – Chasse aux plantes, abeilles solitaires, le Trèfle d’Éole, jardin partagé petit coin de paradis, un enclos avec des chèvres. Je pense au livre acheté ce matin à la librairie du Canal, rue Eugène Varlin, « Toi » de Hélène Gestern. Elle y raconte son amour pour son chat récemment décédé. Dès les premières lignes les larmes me viennent. Je regarde les chèvres, je me demande ce qu’elles mangent. Le sol me paraît jonché de copeaux de bois. Pourtant, elles broutent, non ? Ce midi en terrasse, j’ai donné des miettes aux pigeons. Je suppose qu’on ne peut pas comme à Bruxelles. Jardin d’Éole, des hommes agglutinés, origine asiatique ou africaine. Je pense à la chanson de Patrick Juvet « Où sont les femmes ? ». Il y a des grilles comme dans un zoo. Rue d’Aubervilliers – une camionnette de location Europ Car « Move your home » dit le slogan. Un peu plus loin arrêt « Maroc » du bus 45. La maison d’artistes « Le grand parquet », désolée en ce mois d’août. « Barber Prestige ». Encore des hommes agglutinés. Parfois on se sent observé. Sacs poubelles « Ensemble rendons Paris propre » dit le slogan. Je pense à l’organisme qui gère la collecte des déchets qui s’appelle « Bruxelles Propreté ». Parfois je l’appelle Bruxelles saleté.

Version sonore: Livre et Jardin d’Éole

Anne Savelli et Joachim Séné

Bulle d’aiR du 20 août 2025

En direction du jardin d’Éole, nous traversons le Passage Goix. J’y rencontre Mika, un chat de dix ans souffrant d’arthrose. Sa propriétaire tente de le faire marcher mais il demeure immobile, droit et fier, savourant l’admiration dont il l’objet. Perec nous rappelle sa vision de la notion de quartier que j’élargis au quartier de travail. Je fréquente le mien depuis plus de trente ans et je m’en tiens à l’écart dans le quartier où je vis. La fratarèle, la sarcolinette, la gordalone, la percatole dentelée de Maryse Hache nous entraînent dans le Jardin d’Éole pour une danse temporelle avec Colette dans ses jardins de Bourgogne. Rue d’Aubervilliers j’aperçois le mot « NAKE » tagué sur un mur. Aucune idée évidemment de ce qu’il signifie. Sous une façade de maison peinte en trompe l’œil, dans un coin, des fauteuils, des caisses constituent une sorte de maison de rue. Un restaurant « La corne de l’Afrique » puis au coin rue Riquet rue Pajol la brasserie « Nord Nord », le « Coq doré » « Fenua Ceramics. Bienvenue au « Budget Bazar Dubaï »

Version sonore : Trompe l’oeil

Anne Savelli

Carnet de murmures

par Françoise Renaud

Déjà le livre de Françoise Renaud est un bel objet. Ses créations photographiques aux motifs organiques illustrent la couverture et les intitulés de chapitres sur double page. Elles ravissent l’œil. La couverture, épaisse, légèrement gaufrée invite au toucher, à prendre le livre à pleines mains comme pour nous donner la un avant-goût de la matière rugueuse, fibreuse qui nous est offerte au long des pages.

Après avoir parcouru le monde et son pays, vécu en Languedoc, Françoise décide de s’établir plus au Nord, en Limousin, poussée par la dégradation climatique. En une infinité de touches délicates, ciselées par la finesse des mots, elle nous conte son installation sur ses nouvelles terres.

Elle consigne dans ce Carnet l’élégance des aigrettes au plumage blanc comme irréelles dans leur lent déplacement vers l’eau, les lichens incrustés dans les murs pareils à des runes, les haies aux fruits desséchés et les taillis impénétrables. Nous lui emboîtons le pas avec entrain au fil des saisons de cette première année où elle arpente le domaine, visite les parcelles plantées de légumes et bientôt d’arbres fruitiers, on se prend d’affection pour les trois jolies poules. Le ciel nous envahit, comme la vibration des arbres et le chant mélancolique des oiseaux. On respire l’odeur du bois et de l’humus, on déguste fraises,  framboises, courgettes jaunes, poivrons verts et rouges. C’est un livre pour tous les sens.

Même si parfois la nature se met en colère, nous envoie ses éclairs et ses coups de tonnerre, souvent elle nous offre le silence de la neige, le frémissement de l’herbe sous le vent, le bruissement des ramures. De page en page, Françoise rapporte ce que la nature lui murmure. Et c’est à nous aussi qu’elle murmure.

*

En lisant le Carnet de murmures, j’ai moi aussi envie de errer dans les friches et frôler les forêts, d’observer  les bourgeons fragiles, la peau mouillée d’une salamandre, de me poser et  me garder à l’affût dans l’imperceptible étirement du jour. Un livre qui restera à mes côtés.

Captured with VisionCamera by mrousavy

Bulle d’aiR à Paris

Revenir à Paris après dix ans. Arpenter Belleville avec Anne Savelli lors d’une balade « Bulle d’aiR » (L’aiR Nu) organisée pour ses abonnés Patreon sur le thème des oloés (mot qu’elle a inventé et qui désigne les lieux Où Lire Où Écrire.) Rendez-vous nous était donné sur la place Colonel-Fabien devant les grilles du siège du parti communiste. Une place en pleins travaux d’aménagement d’une forêt urbaine – concept quelque peu antinomique que je découvre – réaménagement et végétalisation d’un lieu hautement urbain. Anne Savelli nous emmène sur ses lieux où lire où écrire.

Anne Savelli

Ecrire en ville ? À la bibliothèque ? Pas si simple. Entendre sur le lieu même – la Bibliothèque François-Villon – l’extrait de son livre Des Oloés qui s’y rapporte ou plus loin, son évocation dans Lier les lieux, élargir l’espace, du lieu de naissance de George Perec, et en face dans celui où il croyait être né, rencontre dans son appartement timbre-poste de l’artiste au crochet Lya Garcia et son univers d’animaux fantastiques et de chapeaux extraordinaires. Et puis la butte Bergeyre où j’ai l’impression de marcher dans des rues proches de chez moi.

Lya Garcia

Vendredi, plongée dans Le Paris d’Agnès Varda, de ci de là au Musée Carnavalet, exposition dynamique qui mêle admirablement les photos, les extraits de films  et d’interviews filmés et les documents numériques. Le soir, à L’Ours et la veille grille, écouter les extraits croisés de L’éternité est un jeu de taquin par Sophie Coiffier, Terminus provisoire par Antonin Crenn et Lier les lieux, élargir l’espace par Anne Savelli, livres qu’ils ont publié dans la Collection « Perec 53 » des éditions L’Œil ébloui.

Sophie Coiffier, Anne Savelli, Antonin Crenn

48 heures intenses de rencontres, voir (certains pour la première fois « en vrai ») et revoir des amis en écriture. Bulle d’air salutaire en ces temps chaotiques.

Soleil Ogre

J’ai perdu mon amie sans l’avoir mérité… Les paroles n’ont rien d’enfantin. Elles sont tentatives de consolation. La Chine ? Être l’amie d’un voyage lointain, complexe, un voyage dont elle dira c’est le nôtre. Baignée des derniers rayons du crépuscule, Catherine Serre, devant la boutique de MaelstrÖm ReEvolution nous dit un passage de Soleil Ogre, son nouvel opus.        
Trois personnages principaux : l’amie, la narratrice et le Soleil. Nous avons tous besoin du soleil, mais elle, l’amie, sans lui, elle dépérit. L’amie tourne autour du soleil, elle le poursuit à travers le monde, en hiver elle hiberne, se nourrit de coquillettes au beurre fondu alors qu’en été, elle croque les pèches, les melons, se gorge de soleil, l’ingurgite, mais lui, il la brûle. Le soleil la dévore. Ses récits autour du monde illuminent le livre. Elle a quarante ans, elle sait que la fin du voyage est proche. Dans ce récit poétique, de sa prose dense et charnue, qui nous touche et nous ravit, Catherine Serre évoque cette amitié fascinante, l’amie cheffe d’orchestre. Ça te dirait la Chine ? C’est un voyage unique, tu viendras. Se sentir l’élue et pourtant ne pas donner suite. L’amie ne relève pas la fausse note. L’amie qui dit quand ses amies viennent et vont. Va t’en. Ne reviens pas. Être aux côtés de l’amie jusqu’au bout, même loin. Je me tiens à l’ourlet de l’ombre, elle marche en plein soleil.

Rencontrer les poètes et les poétesses d’aujourd’hui. À la Maison Poème, lieu de croisement culturel et d’expérimentation, littérature, musique, arts vivants, créations sonores et visuelles. Au micro de la salle elles et ils se succèdent et performent, théâtralité, gestuelle, musique, vidéos, bruitage, un art scénique à part entière. La langue des signes s’y invite, timidement. Bar sympa, convivial, des amitiés en écriture sont nées et pour l’ouverture du Fiestival Maelström Reevolution, se retrouvent. Grâce au Tiers Livre de François Bon, déjà trois ans que je rencontre Catherine Serre.`

Poètes et slammeurs s’affrontent au cours de joutes poétiques, d’autres présentent leurs nouveaux livres, leurs recueils, la scène leur est ouverte après que l’on ait entendu une conversation d’écrivains et éditeurs des îles (du Sud) à propos des difficultés de l’édition hors de la métropole. C’est le Fiestival de MaelstÖm ReEvolution, chaque année à la fin du mois de mai à Bruxelles.

Suivre les perles de lumière

Un week-end lumineux à chiner les vieux livres à Redu un village du Sud de la Belgique dit Village du Livre où Marilyn côtoie Rabelais et Khnopff. Je ne vais pas ergoter sur le nombre de librairies qu’il compte encore aujourd’hui à savoir huit dont deux sont en passe de mettre la clé sous le paillasson contre vingt-quatre à son heure de gloire il y a quarante ans ou sur la situation du livre à l’heure actuelle, les jeunes ne lisent plus, les réseaux sociaux, il faut diversifier, ne pas se centrer sur le livre seulement, etc. 

Une échappée tout simplement comme en proposent les fenêtres soulignées de livres d’une des librairies les plus belles et les plus fournies du village. Le plaisir de trouver un magnifique livre sur les phares des Etats-Unis à 4€, d’espérer trouver un livre sur Khnopff et d’en trouver deux ou encore des vintage books, Miss Read et Muriel Spark.

Et puis le retour à Bruxelles, les journées au bureau, grises et pluvieuses et se demander si des gens parfois jettent encore des bouteilles à la mer. Le net nous dit que si l’on veut jeter une bouteille à la mer il faut éviter les bouteilles en plastique… Je ne savais pas que dans l’urgence on avait le choix. Quand l’été approche, envie à chaque fois d’emboîter le pas des aventuriers Corto Maltese ou le baroudeur Blaise Cendrars mais pour cette année ce sera encore sous le parasol de ma terrasse. Mais en tout cas c’est certain, j’irai voir les oloés en juin à Paris avec Anne Savelli.

La grisaille a fait un bref retour et c’est la couleur qui s’invite, c’est elle qui accroche l’œil et le sort des pages dans lesquelles il s’était enfermé non sans un plaisir certain, celui des instants volés (à propos, le métro est un de mes oloés) à une journée qu’il passera scotché à un écran, mais il y a la vue sur Bruxelles, qui lui permettra de regarder loin, de faire se bouger le muscle qui le maintient et de lui en conserver l’élasticité.

Suivre les perles de lumière.

Tisser la ville

Arpenter la ville c’est comme suivre un fil. Longtemps, quand j’étais jeune, je n’ai pas vu les connexions entre les différents quartiers de ma ville et encore moins celles qui me reliaient à certains d’entre eux ou celles que je pouvais avoir au sein d’un même quartier.

Tisser la ville par les liens géographiques mais aussi par les liens avec le passé. Je n’imaginais même pas que des strates couraient sous mes pieds comme des trames sous-jacentes qui par endroits s’accrochaient à la toile du présent.  A Bath, j’ai foulé le sol de l’époque romaine et celui du Moyen-Âge. Rien d’extraordinaire ni d’original mais l’émotion est au rendez-vous, immanquablement. Comme lorsque je descends l’escalier monumental de la rue Baron Horta. Au dessous de la dernière marche et quelques mètres au-delà sont enterrés les vestiges de la rue d’Isabelle et c’est précisément là, un peu plus loin sous la rue actuelle que se situait le pensionnat où Charlotte et Emily Brontë sont arrivées un soir de février 1842. Nous l’évoquons avec Caroline Diaz avec qui j’ai pris un chocolat chaud dimanche dernier lors de son transit à la Gare du Midi pour reprendre l’Eurostar vers Paris.

Je repense au livre d’Anne Savelli Lier les lieux, élargir l’espace où elle parle des liens entre les lieux (avec minuscule) de George Perec et ceux de ses propres livres et qui m’évoque les liens émotionnels que l’on noue avec une ville et qui font que l’on tisse sa propre ville élargissant ainsi l’espace que celle-ci représente à nos yeux.

Arpenter la ville ou un quartier, c’est suivre un fil. Un fil rouge parfois ou du moins tenter de le débusquer, un fil qu’on sait exister.  Avant que tu ne quittes le quartier sera le récit de cette quête, je dirais même de cette enquête. Et je ne sais pas ce que j’attends pour le poursuivre sérieusement, car il est prévu que je quitte le quartier le 28 février 2026.

Je veux vivre !

La photo de couverture ne représente pas une femme figée dans un cri de détresse comme le suggère le titre du livre, et du film, « Je veux vivre ! ». Il faut avoir vu le film pour le savoir. L’action se passe en Californie au début des années cinquante. Les premières minutes du film relatent le passé de délinquance de Barbara Graham, une jeune femme qui a été serveuse, prostituée, trafiquante, racoleuse, danseuse dans des bars pour soldats en permission. La photo la montre presque en transe, dansant – ce qu’on ne voit pas – au son endiablé d’une paire de bongos devant des soldats et marins imbibés et pantelants. Elle passe un an en prison pour parjure. Jamais cependant, elle n’a commis de violences. Mariée trois fois, mère de deux enfants, elle retente le coup une quatrième fois, essaie de se construire une vie rangée en épousant un barman dont elle a un troisième enfant. De toute évidence, elle n’a de nouveau pas tiré le bon numéro, car elle va se lier à des amis criminels de son mari, petite frappe et drogué, et cette rencontre va sceller son destin.

De l’auteur du livre, Tabor Rawson, on ne sait rien, pas même si c’est un homme ou une femme. Le net renseigne que le prénom Tabor est de genre neutre porté en majorité par des hommes. On ne trouve rien à propos de cet auteur qui semble n’avoir écrit qu’un seul livre, I want to live ! The analysis of a murder, publié par The New American Library en 1958, avant de disparaître sans laisser de traces. La 4e de couverture mentionne qu’un film avec Susan Hayward a été tiré du livre alors que le générique indique qu’il est basé sur les articles de Ed Montgomery et les lettres de Barbara Graham. L’édition originale ne précise pas s’il s’agit d’un roman. La traduction française parue le 1er janvier 1959 chez Julliard est présentée comme le roman dont a été tiré le film. L’édition Marabout Collection, quant à elle, présente le livre comme un récit. Barbara Graham se retrouve mêlée au meurtre d’une femme lors d’un cambriolage au domicile de celle-ci auquel elle participe avec deux amis de son mari. Ils l’accusent du meurtre et bien qu’il n’y ait pas de véritable preuve que c’est bien elle qui a tué, ses antécédents judiciaires, notamment de parjure, sa tentative de se fabriquer un faux alibi et les articles à sensation de Ed Montgomery ont convaincu le jury de sa culpabilité et mené à sa condamnation à mort, suivie de son exécution par la chambre à gaz le 3 juin 1955 (le livre dit le 3 décembre).

Se revoir lisant Je veux vivre !, dans la chambre occupée lors de séjours dans la famille qui habitait les Ardennes. Quand tu as lu ce livre,  tu y passais quelques semaines seule pendant les vacances d’été. Tu devais avoir quatorze ans. Le film venait de passer à la télé et tu l’avais regardé avec ta mère. Tu ne te souviens pas si elle avait déjà vu le film auparavant puisque il datait de 1958. Il vous a beaucoup impressionnées et ce d’autant plus qu’il relatait une histoire vraie, l’histoire d’une femme condamnée à mort pour un meurtre qu’elle n’a pas commis avec ce drame absolu que la preuve de son innocence a été apportée sur les lieux par dépêche juste après l’exécution. Ce film avait valu à son actrice, Susan Hayward, l’Oscar de la meilleure actrice pour son interprétation magistrale. Surprise et bonheur d’avoir trouvé le livre dont avait été tiré le film dans la bibliothèque paternelle. Se revoir assise là dans cette chambre, près de la fenêtre aux vitres teintées et croisillons de plomb qui la divisaient en une douzaine de rectangles identiques, fenêtre qui donnait sur le bois voisin. Ce n’est pas que tu adorais cette chambre, mais c’était le seul endroit où tu pouvais te retirer et lire, déjà ce besoin de retrait des ambiances alentour, qu’elles fussent agitées ou calmes. Enfant, tu vais eu peur dans cette chambre. Mais quand un rayon de soleil la traversait au beau milieu d’un après-midi, cette peur s’évanouissait. Et puis, tu écoutais L’imbécile heureux de Nicolas Peyrac.

C’est étrange comme un livre, ou un film, ce livre et ce film précisément, peuvent être à l’origine d’un mythe de jeunesse. Après ces vacances d’il y a longtemps, Je veux vivre !  s’en est retourné dormir dans sa bibliothèque. Ne plus te souvenir où il était rangé. Se dire qu’il n’a sans doute été lu qu’une ou deux fois tout au plus, qu’il a plusieurs fois été mis dans des cartons et balloté au gré des déménagements, avant sa lecture et après, le ressortir aujourd’hui, comme par un inexplicable appel, ou rappel, le livre comme mu par le besoin de sortir, de rappeler son existence, l’attrait pour le mystère, le noir et blanc d’un monde oublié. Il y a une dizaine d’années environ tu as acheté le dvd et tu ne l’as jamais regardé, tu ne comprenais pas pourquoi tu ne le regardais pas. Savoir qu’à coup sûr on ne peut vivre deux fois la même expérience, qu’il s’agisse de la deuxième lecture d’un livre ou du deuxième visionnage d’un film, l’expérience serait forcément différente. Le dvd est resté scellé dans son cellophane jusqu’à un soir de cette semaine. Tu ne te souviens de rien sauf des scènes du couloir de la mort et des reports d’exécution de deux fois quarante-cinq minutes, dans ton souvenir c’était des reports de plusieurs jours. Puis arrive la scène finale, après l’exécution, la scène que tu attends, la scène pour toi mythique, où l’on apporte la preuve de l’innocence de Barbara Graham. La voiture arrive, son avocat qui s’est battu jusqu’à la fin pour la faire gracier en descend, il tend une enveloppe au journaliste Ed Montgomery. Tu trouves étrange que l’avocat remette cette missive importante au journaliste. Il lit la lettre, Barbara Graham le remercie de tout ce qu’il a fait pour elle. Là tu te dis que quelque chose a dû t’échapper, tu saisis le livre, tu feuillettes, tu cherches, ce dénouement se trouve au début du livre et la même scène y est décrite. Nulle part il n’est question de preuve de l’innocence de Barbara Graham apportée juste après sa mort. Tu te rends compte que tu avais mal compris ou pas voulu comprendre, que tu t’es inventé une fin plus acceptable, plus romanesque, que la culpabilité pure et simple, mais non avérée, de cette femme. Une femme qui crie « Je veux vivre ! » ne pouvait qu’être innocente.  

Texte écrit sur une proposition de François Bon pour l’atelier d’écriture Tiers Livre, Recherche sur la nouvelle.

Blême

Jour 23 – Tu sais d’emblée la couleur, non pas celle qui émergerait mais celle que tu irais chercher. Celle d’un livre repéré dans la vitrine de la bouquiniste. Seul parmi tous les autres, comme la couleur qui illumine la grisaille de la ville. Tu as acheté d’autres livres mais pas celui-là. Tu y retournes en espérant qu’il soit toujours là. Pour toi, c’était un film, pas un livre, tu ne te souvenais pas de l’histoire, seulement de l’actrice, Nathalie Baye. Tu ne connaissais pas son auteur, William Irish. C’est lui qui a écrit Fenêtre sur cour, ça tu l’apprends en écrivant ces lignes. La bouquiniste te fait un prix et tu emportes le précieux objet. Tu as déjà un livre de la Série Blême en édition originale de 1949, le numéro deux, Le puits de velours de John Gearon, J’ai épousé une ombre est le numéro un, publié en 1949 également. Couverture cartonnée de couleur vert foncé, encadrée de blanc crème, les caractères du titre sont rouges. Plus jeune, tu pensais que ce vert était blême, que la couverture était censée donner une impression de blêmeur. Il n’en est rien, le vert est foncé et soutenu, le rouge est vif. Mais si on mélange ces deux couleurs complémentaires, on obtient un gris qui peut être terne et sans éclat. J’ai épousé une ombre, titre mystérieux, fascinant, voire poétique, rien à voir avec son original froid, pragmatique et sans équivoque, I married a dead man.

Tandis que New York décante

Tandis que New York décante, infuse,  reprendre contact peu à peu, retrouver ses marques dans le quartier de travail, s’assurer que tout est là, que le ciel n’a pas changé que les reflets t’interpellent toujours autant. Reprendre contact pas à pas, la nature s’invite pour une douce transition, la trouver partout, au pied d’un immeuble, au détour d’une rue, longeant un piétonnier. Sensations haussmanniennes, envies de Paris, si longtemps, près de dix ans, mais en attendant Bruxelles,  rencontre avec Caroline Diaz et Pierre Ménard, échange de nos livres, enfin Comanche entre les mains, je ne peux que chaudement recommander cette « en-quête » du père trop tôt disparu, tout en poésie et sensibilité, un amour qui se découvre (pour vous le procurer, c’est ici :

https://www.bookelis.com/romans/55471-COMANCHE.html )

Billet new-yorkais #02

Changement de quartier, changement d’atmosphère, SoHo, NoLiTa, Little Italy, Chinatown. SoHo, quartier d’artistes qui s’étaient installés dans des bâtiments industriels inoccupés dans les années 60 et 70. Aujourd’hui le quartier reste branché, galeries, boutiques et beaucoup d’artistes qui exposent leurs créations dans la rue sous le regard indifférent des nombreux touristes. A Little Italy, la Fête de San Gennaro bat son plein. Seules les quelques affiches à l’effigie du Saint rappellent l’origine religieuse de cette fête introduite en 1926 à New York du côté de Mulberry Street par les immigrants napolitains. Étals de nourriture dégoulinante partout, fumée des grillades qui en rajoute à la chaleur ambiante, on dirait plutôt une fête de la bouffe. Chinatown, les petits bouis-bouis les uns sur les autres, rien de bien spectaculaire. Mais alors il y a Greenwich Village, oasis de calme, oasis d’un autre temps, une bulle comme hors de la ville, demeures anciennes de briques rouges, frontons et chapiteaux sculptés, toutes précédées d’un jardinet de part et d’autre d’un escalier à rampes en fer forgé menant au porche éclairé par une suspension extérieure en losange. C’est un des rares quartiers de New York que Lovecraft a semblé apprécier, comme il nous le confie dans sa nouvelle Lui * : Les ruelles et maisons archaïques, les ruelles et les petites places et cours inattendues bien sûr m’enchantèrent […] et ne restai que pour l’amour de ces restes vénérables. Je les imaginais comme elles avaient été dans leur jeunesse, quand Greenwich était un flegmatique village pas encore engouffré par la ville ; […]

  • in H.P. Lovecraft, Trois histoires new-yorkaises (nouvelle traduction de François Bon), Tiers Livre Éditeur, 2018