Citadine depuis toujours, avec Itinéraires pluriels, je partage mon exploration photographique et littéraire de la ville (voir aussi Instagram: @itineraires_pluriels). Il y a la nature aussi, l’aquarelle, les médias mixtes (@catherine_koeckx_art). En 2021, j'ai publié Le Guide lovecraftien de Providence (disponible sur Amazon ou commande privée à catherine.koeckx@gmail.com). En 2023, j'ai publié Dedans la Ville aux Editions Novelas.
Jour 6 – Rêver de Dubaï pour mettre de la couleur dans la ville ? Pour le dire franchement, non, ce n’est pas Dubaï qui t’a attirée, c’est la fleur de lotus fuchsia et rose pâle, la fleur de la transcendance, la fleur qui irradie et illumine, celle que tu rêves de voir un jour en vrai. Tu passes souvent devant ce lieu mais tu n’as jamais vu personne y entrer ou en sortir. Cette enseigne tape à l’œil a le mérite, au moins, de mettre de la couleur dans cette journée de printemps qui fait grise mine.
Jour 5 – Je ne connais pas assez la vie des villages pour affirmer qu’ils y sont présents en nombre, ou pas, discrètement ou pas. Au début, leur présence dans la ville avait un goût de liberté, de révolution, ou tout simplement de protestation. L’élaboration et la beauté de certains d’entre eux, leur côté éphémère, leur récurrence ont conduit à la naissance d’un mouvement artistique : l’art urbain ou street art. Mais la masse des tags ordinaires qui couvrent les murs de la ville, peu de gens y prêtent encore attention, ils sont là, ils se sont fondus dans les murs et les façades. Et puis il y en a un qui t’éclate presque à la figure, quand tu navigues le matin dans le gris de la ville, dans ton brouillard intérieur qui ne s’est pas encore levé, des lettres, des graphismes, tu ne sais trop, jaune pétant, rouge pétant, qui se détachent sur fond de vieille porte de garage à lamelles, grises évidemment. La couleur est là, partout. Il suffit d’ouvrir les yeux.
Jour 4 – Un défi dans le défi : sortir, sortir pour repérer la couleur qui fera trace aujourd’hui. Sortir de chez toi quand tu fais du télétravail est un défi en soi. Le matin, avant de te connecter ? C’est très peu probable. Pendant ? C’est rarement possible. Mais plausible. Après ? Tu n’en as plus envie. Tu as pris prétexte de courses pour partir à sa recherche. Il y a des couleurs fixes, celles de bâtiments, des enseignes, des panneaux publicitaires, des tags, tu les vois à peine, elles se fondent et se mélangent, s’échappent de part et d’autre de ton regard. L’une ou l’autre l’accrochent, tu te dis que tu la gardes en réserve pour un autre jour. Il y a des couleurs mouvantes. Au coin de la rue, tu ne t’y attends pas, le tram surgit bardé de rouge, publicité et slogans, tu as à peine le temps de le saisir dans ton téléphone. Le rouge a disparu.
Jour 3 – Dans le métro, plongée dans ma lecture, je lève la tête, je vois le béret fuchsia et je ne vois que lui, tout le reste n’est que brouillard autour, les gens, les stations où le métro s’arrête, tout. La femme au béret fuchsia est assise en face de moi. Une femme d’un certain âge, les yeux rivés à son téléphone, le doigt animé de ce mouvement caractéristique du bas vers le haut qui fait défiler les posts très probablement sur Instagram. Elle, toute vêtue de bleu foncé, de noir, foulard à motifs gris clair et blancs, un sac bleu nuit avec sur le devant un grand papillon bleu et blanc aux ailes ornées de brillants et sur le dessous des motifs têtes de mort imprimés en creux. Même les montures de ses lunettes sont bleu foncé. J’ai tenté de la photographier discrètement quand à ce moment précis mon téléphone s’est éteint, pour me rappeler sans doute que photographier les gens d’aussi près, à leur insu, est inapproprié. Elle a rangé son téléphone, a fermé les yeux un bref instant, pour s’en ressaisir aussi vite et se remettre à faire défiler les posts, imperturbablement, sans imaginer que le souvenir de son béret fuchsia serait emporté dans les méandres du web.
Jour 2 – Echo, déjà, à l’image d’hier, deux images qui se répondent, deux couleurs qui se font écho, d’une image à l’autre, de l’une à l’autre, d’une journée à l’autre et serait-ce anticiper de dire que d’échos il sera sans doute beaucoup question dans cette série d’images et d’occurrences ? Oui, mais si la couleur d’aujourd’hui – et son écho – n’était pas celle que l’on croit, et si une autre s’était invitée, qui arrête le regard, comme un point d’orgue, pour l’emmener au loin, vers sa fuite ?
Jour 1 – Doucement revenir, doucement sortir les mots de leur hibernation, doucement revoir la couleur dans la grisaille de la ville en ce printemps humide, froid et gris. Pourquoi pas se lancer un défi quotidien, chaque jour pendant trente jours repérer une couleur qui émerge du gris et en rendre compte, une couleur qui se distinguera des autres, du moins pour toi, pour ton œil qui l’épinglera sur la trame de fond à laquelle souvent on ne prête pas attention. Cinq ou six lignes pas plus, en mode carnet, un défi pour arrêter de procrastiner, pour refaire des gammes. Voir où ce rendez-vous quotidien va te mener, quelle exploration il va générer, les questions qu’il va poser, quels chemins intérieurs il te fera emprunter. Tu ne sais pas, tu pars à l’aveuglette. Aujourd’hui, jour 1, tu as vu ce bleu des jacinthes, intense, profond, mauve, mêlé de rouge qui se découpe sur le ciel morose et, comme en écho, celui des arabesques bleues sur fond gris du pot qui les contient. La ville est au loin tu la devines, quelques bâtiments en surplomb, leurs silhouettes sont floues, les bruits étouffés, Les jacinthes bleues n’ont que faire de la ville…
Toujours ce tiraillement, j’aime la ville, j’aime pas la ville ? La ville est bruyante, stressante, agitée, des gens partout, en tous sens, on se cogne parfois, les gens sont pressés, toi aussi, et pourtant tu te répètes, ralentis, prends le temps de sentir où tu poses les pieds, regarde autour de toi, tu lèves la tête, souvent, tu captes les instants, le bleu surtout, le ciel bleu, ses reflets sur la ville, une échappée.
Un samedi matin tu débarques dans le centre-ville et c’est le désert, donc oui, la ville dort parfois, certains matins elle aussi a la gueule de bois, ou peut-être la ville n’est-elle pas du matin, ou peut-être simplement a-t-elle aussi besoin de repos, besoin de s’évader, de se dire, aujourd’hui, je vous laisse vous débrouiller. Profiter de ces quelques instants, les traverser. La ville est multiple.
Dans la ville, parfois, tout est sans dessus dessous, un soir tu écoutes tranquillement Hélène Gaudy présentée par François Bon, une très inspirante auteure de romans-enquêtes, sans te douter qu’au même moment au cœur de la ville des supporters suédois sont tués par des terroristes te rappelant que la peur est toujours au coin de la rue, un autre matin tu arpentes à nouveau ses trottoirs déboussolés.
Tandis que New York décante, infuse, reprendre contact peu à peu, retrouver ses marques dans le quartier de travail, s’assurer que tout est là, que le ciel n’a pas changé que les reflets t’interpellent toujours autant. Reprendre contact pas à pas, la nature s’invite pour une douce transition, la trouver partout, au pied d’un immeuble, au détour d’une rue, longeant un piétonnier. Sensations haussmanniennes, envies de Paris, si longtemps, près de dix ans, mais en attendant Bruxelles, rencontre avec Caroline Diaz et Pierre Ménard, échange de nos livres, enfin Comanche entre les mains, je ne peux que chaudement recommander cette « en-quête » du père trop tôt disparu, tout en poésie et sensibilité, un amour qui se découvre (pour vous le procurer, c’est ici :
Quartier de Dumbo entre Brooklyn Bridge et Manhattan Bridge, trafic ininterrompu, rames de métro qui se succèdent dans un bruit de métal infernal, mais cette vue iconique sur Manhattan, tu ne t’en lasses pas, tu l’as photographiée sous toutes ses coutures, tu croises un artiste qui la peint magnifiquement, il accepte que tu le prennes en photo, il se met à pleuvoir dans le Brooklyn Park, l’automne est bien installé même si les arbres sont encore verts.
New York est une expérience, la démesure qui te saute à la tête (pour ne pas dire à la gorge…). Même si tu y es déjà allée, ça reste ébouriffant, voire sauvage. L’expérience de la ville avec un grand V. Tout à ta découverte lors du premier séjour, tu as pu cette fois être plus attentive à certains détails, mais New York se redécouvre à chaque fois, par la terre ou par la mer. Comme dit Fitzgerald dans Gatsby, « c’est toujours comme si on la voyait pour la première fois, prête à vous révéler, dans son extravagance, tous les mystères, toute la beauté du monde. » Combien de séjours ne faudrait-il pas pour prétendre la connaître un tant soit peu… ?
Red Hook, « mélange détonnant de déglingue industrielle et de bohème », nous dit le guide New York out of the box, manger au Hometown Bar-B-Que sur des tables en bois, observer trois soldats américains venus acheter leurs burgers pour le déjeuner, lieu qui fait plus penser à un saloon moderne de l’Ouest américain – du moins dans ton imaginaire – qu’à Brooklyn.
Red Hook sur les traces de Lovecraft, tenter de s’imprégner de ces lieux qu’il a arpentés, qu’il a détestés ; le waterfront, les anciens entrepôts réaffectés, un vieux bus déglingué, la statue de la liberté dans un halo de brume et de pluie incessante. En semaine, Red Hook est calme nous dit-on, et en effet, quasi personne le long des anciens docks, les water taxis sont à quai. La pluie est dissuasive, et pourtant tu ne te vois pas marcher dans les pas de Lovecraft sous un ciel d’azur et un soleil estival. S’abriter dans un salon de thé et goûter le délicieux cake au potiron et pépites de chocolat, Van Brunt, l’artère principale du quartier est tranquille et bon enfant.
Profiter de la seule journée ensoleillée du lendemain pour le suivre encore dans Prospect Park, pique-niquer devant un chêne centenaire, flâner sur les sentiers méandreux jusqu’au lac où Sonia et lui aimaient passer du temps à lire, à deux pas de leur appartement du 259 Parkside Avenue, photographier la façade sous toutes ses coutures au risque de se faire regarder bizarrement par les gens du coin. Heureusement, il y des affiches d’appartement à louer.