Blême

Jour 23 – Tu sais d’emblée la couleur, non pas celle qui émergerait mais celle que tu irais chercher. Celle d’un livre repéré dans la vitrine de la bouquiniste. Seul parmi tous les autres, comme la couleur qui illumine la grisaille de la ville. Tu as acheté d’autres livres mais pas celui-là. Tu y retournes en espérant qu’il soit toujours là. Pour toi, c’était un film, pas un livre, tu ne te souvenais pas de l’histoire, seulement de l’actrice, Nathalie Baye. Tu ne connaissais pas son auteur, William Irish. C’est lui qui a écrit Fenêtre sur cour, ça tu l’apprends en écrivant ces lignes. La bouquiniste te fait un prix et tu emportes le précieux objet. Tu as déjà un livre de la Série Blême en édition originale de 1949, le numéro deux, Le puits de velours de John Gearon, J’ai épousé une ombre est le numéro un, publié en 1949 également. Couverture cartonnée de couleur vert foncé, encadrée de blanc crème, les caractères du titre sont rouges. Plus jeune, tu pensais que ce vert était blême, que la couverture était censée donner une impression de blêmeur. Il n’en est rien, le vert est foncé et soutenu, le rouge est vif. Mais si on mélange ces deux couleurs complémentaires, on obtient un gris qui peut être terne et sans éclat. J’ai épousé une ombre, titre mystérieux, fascinant, voire poétique, rien à voir avec son original froid, pragmatique et sans équivoque, I married a dead man.