Réel ou fiction

Réel ou fiction, ou les deux, un pied d’un côté, un pied de l’autre.

Peu de mots aujourd’hui. Surtout des images, d’un quartier que je continue d’explorer quasi quotidiennement pour quelques mois encore. Je l’appelle mon quartier de travail. Comment l’appellerai-je ensuite ? Quand des collègues me demandent d’où je suis je leur dis que je suis d’ici. Je suis née dans le quartier.
 

Bulle d’aiR à Paris

Revenir à Paris après dix ans. Arpenter Belleville avec Anne Savelli lors d’une balade « Bulle d’aiR » (L’aiR Nu) organisée pour ses abonnés Patreon sur le thème des oloés (mot qu’elle a inventé et qui désigne les lieux Où Lire Où Écrire.) Rendez-vous nous était donné sur la place Colonel-Fabien devant les grilles du siège du parti communiste. Une place en pleins travaux d’aménagement d’une forêt urbaine – concept quelque peu antinomique que je découvre – réaménagement et végétalisation d’un lieu hautement urbain. Anne Savelli nous emmène sur ses lieux où lire où écrire.

Anne Savelli

Ecrire en ville ? À la bibliothèque ? Pas si simple. Entendre sur le lieu même – la Bibliothèque François-Villon – l’extrait de son livre Des Oloés qui s’y rapporte ou plus loin, son évocation dans Lier les lieux, élargir l’espace, du lieu de naissance de George Perec, et en face dans celui où il croyait être né, rencontre dans son appartement timbre-poste de l’artiste au crochet Lya Garcia et son univers d’animaux fantastiques et de chapeaux extraordinaires. Et puis la butte Bergeyre où j’ai l’impression de marcher dans des rues proches de chez moi.

Lya Garcia

Vendredi, plongée dans Le Paris d’Agnès Varda, de ci de là au Musée Carnavalet, exposition dynamique qui mêle admirablement les photos, les extraits de films  et d’interviews filmés et les documents numériques. Le soir, à L’Ours et la veille grille, écouter les extraits croisés de L’éternité est un jeu de taquin par Sophie Coiffier, Terminus provisoire par Antonin Crenn et Lier les lieux, élargir l’espace par Anne Savelli, livres qu’ils ont publié dans la Collection « Perec 53 » des éditions L’Œil ébloui.

Sophie Coiffier, Anne Savelli, Antonin Crenn

48 heures intenses de rencontres, voir (certains pour la première fois « en vrai ») et revoir des amis en écriture. Bulle d’air salutaire en ces temps chaotiques.

Réhabilitation

C’est un immeuble comme il y en a tant d’autres à Bruxelles. L’immeuble même où je travaille en fait partie et celui qui le jouxte est bien avancé. De l’autre côté de la grande avenue qui longe mon quartier à l’entrée de la ville, il y en a plusieurs aussi. Certains sont terminés d’autres en cours. Qu’ont-il de particulier ces immeubles ? On leur donne un coup de jeune, on leur fait un lifting, on les réhabilite, soit de l’intérieur en conservant la façade, soit on détruit la façade et on ne maintient que le squelette, soit les deux, on garde la façade, on met le squelette à nu et on le remplume ensuite.

Un magnifique exemple de façadisme est le bâtiment de l’ancienne compagnie d’assurance Royale Belge, un des fleurons de l’architecture des années 1970 à Bruxelles tout récemment réhabilité en un complexe d’hôtel, bureaux et appartements.

Un autre exemple, pour moi malheureux, la gare du Luxembourg, à Bruxelles toujours, que l’on a voulu intégrer au site du Parlement européen, avec le bâtiment dit « Caprice des dieux » qui lui fait écho à l’arrière-plan et dont la petite façade qui cache un centre d’information baptisé « Station Europe », semble écrasée par le gigantisme environnant.

C’est, comme je disais, un bâtiment comme il y en a tant d’autres à Bruxelles. Situé au 27 de la rue Joseph II, il n’a plus la peau sur les os, on a passé des semaines à les lui racler, briser et émietter ceux qui ne lui serviront plus ou ne serviront pas les objectifs financiers des promoteurs immobiliers. C’était un immeuble quelconque, vieillot de l’intérieur, il était temps d’en faire autre chose, ses occupants l’ayant déserté pour un de ses congénères reconverti en « dynamic working space ». Se dire que l’entrée qu’on a franchie durant huit années n’est plus aujourd’hui qu’un gouffre béant rempli de gravats, qu’une salle de réunion n’est plus qu’un sol en terre battue sillonnées des traces de roues des excavateurs et que les bureaux désertés ne sont plus que des quadrillages de béton vidés de leurs parois. La ville sans cesse se construit, se reconstruit et l’éphémère nous habite, pour toujours.

Montoyer 24

Le ciel était de ce bleu que je recherche  pour mes photos. J’en ai profité pour arpenter le quartier, tout au moins une partie, pendant ma pause de midi, pour ne pas juste aller acheter mon sandwich et retour. J’ai pris la direction opposée. J’ai suivi ces deux religieuses dont une avait à la main un ordinateur portable. Peut-être se rendaient-elles au Parlement européen.

Que tout passe, que tout change, on le sait et pourtant quand un objet ou un lieu du passé sont détruits ou à l’abandon, j’éprouve un sentiment étrange, un regret ou un manque alors que je n’ai pas du tout pensé à eux pendant des mois voire des années, comme le 24 de la rue Montoyer où j’ai travaillé pendant sept ans mais où je ne travaille plus depuis vingt-quatre ans ou l’hôtel Léopold dont j’ai fréquenté à plusieurs reprises la brasserie, un lieu agréable, spacieux, j’ai le souvenir d’une verrière, mais peut-être que je me trompe.

Je me dis que je regarde la ville, que je l’observe mais je me rends compte que l’observation n’est pas directe puisque la plupart du temps elle passe par le reflet. Parfois je ne sais plus de quel côté je me trouve. Mais faut-il toujours chercher une explication. Ne chercher que le beau. Le beau de la ville. J’ai toujours aimé les kaléidoscope.

Hopper est revenu dans le manuscrit, il y avait déjà fait quelques incursions. Il attendait, il m’a pris par la main et je lui ai emboité le pas et puis tout au long de la semaine j’ai écouté la série de podcasts de Anne Savelli Lire le bruit sur son site Fenêtres Open Space[1]. Réaliser un podcast ou un blog, tenir un journal d’écriture, c’est à la fois pour soi-même pour consigner sa propre progression, ses doutes, ses interrogations mais c’est aussi, quand on est un écrivain confirmé, une source d’inspiration pour d’autres. Et puis le cycle Boost ! [2]de François Bon sur Tiers livre me booste. Mais c’était le but. C’est toujours ça, il suffit d’amorcer à nouveau le processus et c’est ce que je suis parvenue à faire cette semaine.


[1] https://annesavelli.fr/

[2] https://www.tierslivre.net/ateliers/

Entre chien et loup

Mercredi dernier la ville n’était que miroitement, réfraction, fragmentation, luminosité pour qui voulait bien lever le nez vers les étages supérieurs des immeubles par dessus les têtes des gens qui se dirigent, comme moi, vers leur lieu de travail, et qui soit marchent droit devant soit ont le nez scotché à leur téléphone sans prêter une seconde attention à l’espace qui les entoure, ce qui est pratique quand tu t’arrêtes en plein milieu du trottoir pour prendre des photos avec ton téléphone, ils ne te voient même pas et te regardent encore moins.

Et puis en fin de semaine, la ville entre chien et loup, comme souvent un entre-deux, d’un côté l’autre, la nuit ou le jour, l’ombre ou la lumière, souvent l’hésitation, quelle direction prendre. Me fait repenser à un poème écrit il y plusieurs années.

Entre chien et loup

Où la lumière hésite

Entre le jour et la nuit

Où la pensée devient trouble

Où les frontières s’effacent

Et la brume me met au défi

Entre chien et loup

Où tout redevient possible

Étincelles

Parfois se demander de quel côté du réel on se trouve, de quel côté du voile quand la brume est épaisse et Dieu sait qu’il y en a eu de la brume ces dernières semaines. Quand la lumière se joue de nous, nous fait des clins d’œil, du coin de l’œil la capter, la réfracter, elle est partout, au simple détour d’une rue, l’emmener avec soi, dans l’appareil photo, dans les interstices, au cœur des mots, dans les vitres des immeubles, non elle ne nous fait pas prendre des vessies pour des lanternes, la suivre pour voir où elle m’emmène.

La suivre, suivre les plus petites étincelles qu’elle sème sur le chemin, dans les méandres des rues de la ville. Chaque jour elle est ailleurs, dans un recoin, dans le banal, le fond d’un chantier, immeuble au squelette mis à nu, les toits, des lieux où on ne l’attend pas, ne la voit pas, ne l’imagine pas.  

Quant au manuscrit, il n’a pas progressé d’un iota, et quant à faire un parallèle avec les épaisses couches de brumes qui ont maintenu la ville dans le flou, il n’y a qu’un pas, y aller chercher les étincelles de lumière qui le feront sortir de l’ornière. C’est étrange comme elles se font discrètes, voire invisible à l’œil nu, encore moins ébloui. 

Pérégrinations

Reprendre mes pérégrinations dans le quartier. Temps limité puisque seulement deux fois par semaine au bureau. Temps limité parce que le compte à rebours a commencé. Dans treize mois tu quitteras le quartier, tu n’auras plus ces deux jours qui t’y relient. Plus rien dans ton quotidien ne t’y reliera. Temps limité, donc, avant que tu ne quittes le quartier. Reprendre le manuscrit et le terminer avant de quitter le quartier. C’est ce lien avec lui qui en est la raison d’être.

Demain ou un autre jour je retournerai à l’endroit où j’ai pris cette photo pour voir comment s’agence ce reflet. La photo ou l’art de voir autre chose que ce que le réel nous donne à voir. La photo ou l’art de nous faire lire entre les lignes.

Toujours ces entrelacs entre passé et présent, ces passerelles d’une époque à une autre, la ville tiraillée entre l’un et l’autre, la ville entre chien et loup.

La ville est grise, souvent elle fait grise mine mais ne se laisse-t-elle transformer par la mine de ceux qui la parcourent ? L’année dernière je m’étais lancé le défi de poster un article par jour pendant 30 jours pour attester de la présence de la couleur dans la ville. La lumière sur la ville pourrait être un nouvel angle d’approche.

Mais d’abord reprendre le manuscrit pour le terminer avant de quitter le quartier. Et s’y tenir.

Blême

Jour 23 – Tu sais d’emblée la couleur, non pas celle qui émergerait mais celle que tu irais chercher. Celle d’un livre repéré dans la vitrine de la bouquiniste. Seul parmi tous les autres, comme la couleur qui illumine la grisaille de la ville. Tu as acheté d’autres livres mais pas celui-là. Tu y retournes en espérant qu’il soit toujours là. Pour toi, c’était un film, pas un livre, tu ne te souvenais pas de l’histoire, seulement de l’actrice, Nathalie Baye. Tu ne connaissais pas son auteur, William Irish. C’est lui qui a écrit Fenêtre sur cour, ça tu l’apprends en écrivant ces lignes. La bouquiniste te fait un prix et tu emportes le précieux objet. Tu as déjà un livre de la Série Blême en édition originale de 1949, le numéro deux, Le puits de velours de John Gearon, J’ai épousé une ombre est le numéro un, publié en 1949 également. Couverture cartonnée de couleur vert foncé, encadrée de blanc crème, les caractères du titre sont rouges. Plus jeune, tu pensais que ce vert était blême, que la couverture était censée donner une impression de blêmeur. Il n’en est rien, le vert est foncé et soutenu, le rouge est vif. Mais si on mélange ces deux couleurs complémentaires, on obtient un gris qui peut être terne et sans éclat. J’ai épousé une ombre, titre mystérieux, fascinant, voire poétique, rien à voir avec son original froid, pragmatique et sans équivoque, I married a dead man.

Du jaune, encore

Jour 20 – Où il sera encore question de la journée d’hier. On dirait bien que le jaune tient le haut du pavé dans cette exploration de la couleur dans la ville, après le rose peut-être. Après les camionnettes jaunes des marchands de gaufres, la visite aux bouquinistes, les étançons jaune de la place de Brouckère. Ils auraient tout aussi bien pu être bleus, rouges, oranges ou vert.  Mais ils sont jaunes. Tu le sais, ici la couleur n’est qu’un prétexte pour plonger le regard par les ouvertures des fenêtres sur le ciel. Sur le potentiel de renouvellement de la ville qui se reconstruit sur elle-même. Mais tu ne peux t’empêcher aussi d’imaginer que des gens ont vécu, ont travaillé, se sont aimés peut-être derrière ces façades et dans ces immeubles dont seul subsiste le squelette. Et puis tu repenses aux jonquilles. A leur côté, les étançons ne font pas le poids.

Bleu Europe

Après le bleu de Berlin évoqué par Catherine Serre, https://carnet.maisondemues.fr/10-bleu-de-berlin/, il y a le bleu Europe partout présent dans la station de métro et gare ferroviaire qui porte le nom d’un des pères de l’Europe, Robert Schuman. Tu descends où ? A Schuman, tu travailles où ? A Schuman. Mais, à part les fonctionnaires européens, qui sait encore dans le quartier qui était Schuman ? Qui sait aussi qu’il a été déclaré Vénérable par le pape François en 2021 et que le procès en vue de sa béatification a été entamé ? Mais tel n’est pas le propos. Revenons-en au bleu Europe, ma couleur du jour, partout présente dans cette station. Ne cherchez pas, c’est moi qui l’appelle comme ça. Quoiqu’en tapant bleu Europe sur Google, on trouve bien évidemment ce bleu et le descriptif du drapeau. Wikipédia nous renseigne plus précisément : « Le bleu du « fond azur » est défini comme le Pantone « Reflex Blue » […]. Pour l’affichage numérique, il est recommandé d’utiliser les valeurs 0/51/153 en RVB (#003399 en Hexadecimal) pour le bleu ». Voilà à quoi mène ce défi, apprendre incidemment que Robert Schuman est en odeur de sainteté et que le code couleur, auquel je n’entends rien, correspond au Reflex Blue du nuancier Pantone. Vue, odorat (de sainteté), ouïe, il ne manque plus que le toucher et le goût. La prochaine fois que je passerai par là, je toucherai le bleu. Mais le goût ?