Je veux vivre !

La photo de couverture ne représente pas une femme figée dans un cri de détresse comme le suggère le titre du livre, et du film, « Je veux vivre ! ». Il faut avoir vu le film pour le savoir. L’action se passe en Californie au début des années cinquante. Les premières minutes du film relatent le passé de délinquance de Barbara Graham, une jeune femme qui a été serveuse, prostituée, trafiquante, racoleuse, danseuse dans des bars pour soldats en permission. La photo la montre presque en transe, dansant – ce qu’on ne voit pas – au son endiablé d’une paire de bongos devant des soldats et marins imbibés et pantelants. Elle passe un an en prison pour parjure. Jamais cependant, elle n’a commis de violences. Mariée trois fois, mère de deux enfants, elle retente le coup une quatrième fois, essaie de se construire une vie rangée en épousant un barman dont elle a un troisième enfant. De toute évidence, elle n’a de nouveau pas tiré le bon numéro, car elle va se lier à des amis criminels de son mari, petite frappe et drogué, et cette rencontre va sceller son destin.

De l’auteur du livre, Tabor Rawson, on ne sait rien, pas même si c’est un homme ou une femme. Le net renseigne que le prénom Tabor est de genre neutre porté en majorité par des hommes. On ne trouve rien à propos de cet auteur qui semble n’avoir écrit qu’un seul livre, I want to live ! The analysis of a murder, publié par The New American Library en 1958, avant de disparaître sans laisser de traces. La 4e de couverture mentionne qu’un film avec Susan Hayward a été tiré du livre alors que le générique indique qu’il est basé sur les articles de Ed Montgomery et les lettres de Barbara Graham. L’édition originale ne précise pas s’il s’agit d’un roman. La traduction française parue le 1er janvier 1959 chez Julliard est présentée comme le roman dont a été tiré le film. L’édition Marabout Collection, quant à elle, présente le livre comme un récit. Barbara Graham se retrouve mêlée au meurtre d’une femme lors d’un cambriolage au domicile de celle-ci auquel elle participe avec deux amis de son mari. Ils l’accusent du meurtre et bien qu’il n’y ait pas de véritable preuve que c’est bien elle qui a tué, ses antécédents judiciaires, notamment de parjure, sa tentative de se fabriquer un faux alibi et les articles à sensation de Ed Montgomery ont convaincu le jury de sa culpabilité et mené à sa condamnation à mort, suivie de son exécution par la chambre à gaz le 3 juin 1955 (le livre dit le 3 décembre).

Se revoir lisant Je veux vivre !, dans la chambre occupée lors de séjours dans la famille qui habitait les Ardennes. Quand tu as lu ce livre,  tu y passais quelques semaines seule pendant les vacances d’été. Tu devais avoir quatorze ans. Le film venait de passer à la télé et tu l’avais regardé avec ta mère. Tu ne te souviens pas si elle avait déjà vu le film auparavant puisque il datait de 1958. Il vous a beaucoup impressionnées et ce d’autant plus qu’il relatait une histoire vraie, l’histoire d’une femme condamnée à mort pour un meurtre qu’elle n’a pas commis avec ce drame absolu que la preuve de son innocence a été apportée sur les lieux par dépêche juste après l’exécution. Ce film avait valu à son actrice, Susan Hayward, l’Oscar de la meilleure actrice pour son interprétation magistrale. Surprise et bonheur d’avoir trouvé le livre dont avait été tiré le film dans la bibliothèque paternelle. Se revoir assise là dans cette chambre, près de la fenêtre aux vitres teintées et croisillons de plomb qui la divisaient en une douzaine de rectangles identiques, fenêtre qui donnait sur le bois voisin. Ce n’est pas que tu adorais cette chambre, mais c’était le seul endroit où tu pouvais te retirer et lire, déjà ce besoin de retrait des ambiances alentour, qu’elles fussent agitées ou calmes. Enfant, tu vais eu peur dans cette chambre. Mais quand un rayon de soleil la traversait au beau milieu d’un après-midi, cette peur s’évanouissait. Et puis, tu écoutais L’imbécile heureux de Nicolas Peyrac.

C’est étrange comme un livre, ou un film, ce livre et ce film précisément, peuvent être à l’origine d’un mythe de jeunesse. Après ces vacances d’il y a longtemps, Je veux vivre !  s’en est retourné dormir dans sa bibliothèque. Ne plus te souvenir où il était rangé. Se dire qu’il n’a sans doute été lu qu’une ou deux fois tout au plus, qu’il a plusieurs fois été mis dans des cartons et balloté au gré des déménagements, avant sa lecture et après, le ressortir aujourd’hui, comme par un inexplicable appel, ou rappel, le livre comme mu par le besoin de sortir, de rappeler son existence, l’attrait pour le mystère, le noir et blanc d’un monde oublié. Il y a une dizaine d’années environ tu as acheté le dvd et tu ne l’as jamais regardé, tu ne comprenais pas pourquoi tu ne le regardais pas. Savoir qu’à coup sûr on ne peut vivre deux fois la même expérience, qu’il s’agisse de la deuxième lecture d’un livre ou du deuxième visionnage d’un film, l’expérience serait forcément différente. Le dvd est resté scellé dans son cellophane jusqu’à un soir de cette semaine. Tu ne te souviens de rien sauf des scènes du couloir de la mort et des reports d’exécution de deux fois quarante-cinq minutes, dans ton souvenir c’était des reports de plusieurs jours. Puis arrive la scène finale, après l’exécution, la scène que tu attends, la scène pour toi mythique, où l’on apporte la preuve de l’innocence de Barbara Graham. La voiture arrive, son avocat qui s’est battu jusqu’à la fin pour la faire gracier en descend, il tend une enveloppe au journaliste Ed Montgomery. Tu trouves étrange que l’avocat remette cette missive importante au journaliste. Il lit la lettre, Barbara Graham le remercie de tout ce qu’il a fait pour elle. Là tu te dis que quelque chose a dû t’échapper, tu saisis le livre, tu feuillettes, tu cherches, ce dénouement se trouve au début du livre et la même scène y est décrite. Nulle part il n’est question de preuve de l’innocence de Barbara Graham apportée juste après sa mort. Tu te rends compte que tu avais mal compris ou pas voulu comprendre, que tu t’es inventé une fin plus acceptable, plus romanesque, que la culpabilité pure et simple, mais non avérée, de cette femme. Une femme qui crie « Je veux vivre ! » ne pouvait qu’être innocente.  

Texte écrit sur une proposition de François Bon pour l’atelier d’écriture Tiers Livre, Recherche sur la nouvelle.

Gaufres et bouquins

Jour 19 – Si tu es pris.e dans la grisaille de la ville, tu ne peux pas les rater les camionnettes jaunes des vendeurs de gaufres. Mais aujourd’hui, de grisaille, point. Ciel d’avant l’orage, soleil qui perce au travers de nuages menaçants, lumière dramatique, blancs éclatants. Sur ton chemin vers la galerie Bortier qui regroupe quelques bouquinistes, les camionnettes jaunes ne passent pas moins inaperçu. La rumeur courait que de nouveaux commerces allaient prendre la place des bouquinistes. Besoin impérieux d’aller y voir. Une dernière fois. Tu t’approches de la camionnette au modèle le plus ancien, tu n’as pas trop fait attention mais il te semble que c’est un van Volkswagen Westfalia. Autrefois, ces camionnettes, pas nécessairement jaunes, ne vendaient que des glaces et par conséquent ne circulaient qu’à la fin du printemps et en été. Depuis pas mal d’années, les glaciers ambulants, la plupart du temps des Italiens, ont ajouté une corde à leur arc, la gaufre de Liège, plus facile à consommer en se promenant que sa sœur la gaufre de Bruxelles.  Les gaufres chaudes, quant à elles, se vendaient à des comptoirs qui donnaient sur la rue, essentiellement rue Neuve. A l’entrée de la galerie, une affiche décrit le projet, de nouveaux magasins vont s’installer et occuper les emplacement vides, mais les deux bouquinistes principaux restent (je suppose qu’il devait y en avoir d’autres, je ne m’en souviens pas). Soupir de soulagement.  Je n’attendrai plus si longtemps avant de revenir. Promis. La gaufre était parfaite.