Blanc

Jour 11 – Ce matin quand tu as vu le bâtiment blanc exposé à l’Est, sur fond de ciel menaçant, tu as su immédiatement que ce serait ta couleur du jour : blanc. Hier, tu n’as pas pu les départager, la nuit sans doute, dans le sommeil et le rêve tu en as fait la synthèse ou la somme. Cette nécessité d’accommoder ce qui a priori ne va pas ensemble, la sérénité du blanc et le chaos annoncé par le ciel menaçant, le chaos de la ville et le calme que tu ne peux trouver qu’à l’intérieur. Non, tu ne savais pas de quoi demain serait fait, encore moins que le portrait de Bruxelles de Catherine Serre dans son Carnet de Mues du 15 mars te parlerait à ce point : « À l’arrivée une fois la voiture laissée dans son parking, la ville s’offre à la traversée. Elle bouillonne. Les bus changent de chemins sans prévenir, les trams s’annulent, les ronds-points enroulent de nouvelles lignes, des itinéraires en tête à queue s’arrêtent devant des bouches de métro, les métros roulent en circulaire et nous entraînent. Un de ces trams anciens, étroits et cahotants, traverse Schaerbeek, vivante à cette heure. Au pied de l’église, rejoindre le café Winok. L’atmosphère est moderne, bobo peut-être, mais bobo doux, avec des vieux chiens tenus en laisse à l’aide d’une corde, des enfants, des amies qui se retrouvent, des boissons soft, des musiques justes, quelques écrans mais beaucoup de parlotes et de rires. » Ce chaos qui m’agace et que j’aime à la fois, ce côté nonchalant et bon enfant. Tout est dans tout, en faire la synthèse, aller vers le blanc.

Catherine Serre est une amie du Tiers Livre de François Bon. Retrouvez le texte cité sur son blog :

De quoi demain sera fait

Jour 10 – Un premier seuil est franchi, le premier tiers de ce défi que tu t’es lancé, ce défi d’observer pendant trente jours une couleur dans la ville, une couleur qui capte ton regard et d’en rendre compte en quelques lignes, comme un carnet que tu tiendrais, un prétexte pour te remettre le pied à l’étrier, pour mettre en place une routine d’écriture, tu te serais demandé quelle idée tu pourrais trouver qui te donnerait l’envie chaque soir après avoir passé 8 heures devant ton écran de boulot d’en passer une autre encore devant ton écran perso pour dire la couleur que la ville aujourd’hui t’a donné à voir, soir après soir sans y déroger, même quand ta fille vient passer la soirée et la nuit à la maison, que vous discutez de tout ce qui vous passionne, que tu n’as pas eu cinq minutes pour écrire mais que tu les trouves, juste avant de dormir. Dix jours n’est pas grand chose et pourtant tu as failli craquer, tu t’es dit que tu écrirais deux entrées demain, que tu grappillerais quelques instants dans la journée, mais tu as tenu bon, ce ne serait pas authentique, et de toute façon ces instants tu ne les aurais pas trouvés, tu t’es rendu compte qu’il te faudra t’organiser, prévoir, si tu veux garder le cap, chercher l’équilibre entre organisation et spontanéité. Vraie journée de printemps aujourd’hui, ce ciel bleu intense, celui que tu aimes voir se refléter à l’infini dans les vitres de la ville et comme par hasard les couleurs se sont bousculées tu n’as pas sur laquelle choisir, laquelle privilégier. Tu les as toutes emportées avec toi, car tu ne sais pas de quoi demain sera fait.

Inlassablement

Jour 9 – Cette maison ne passe pas inaperçue entre ses classiques voisines. Elle tient bon. Et pourtant avec les années – ce n’est pas d’aujourd’hui qu’elle arbore cette belle couleur jaune – elle   semble lentement se ternir. Certes les gaz d’échappement y sont certainement pour quelque chose, mais  je me suis demandé si, comme nous parfois, malgré elle et sans y prendre garde, elle ne se laisserait pas, gagner par la morosité ambiante ? Arpenter inlassablement, même sur un court tronçon, et toujours repérer la couleur qui, pour ce jour encore, illuminera ton chemin.

Jaune soleil

Jour 8 – Station de métro jaune soleil, jaune canari, jaune citron, ça donne du peps, surtout un jour de grève où les transports sont perturbés. C’est une station où tu passes rarement, tu n’avais pas encore vu ce jaune vif, tu aurais aimé t’attarder pour t’en imprégner. Pas le temps. Tu étais partie plus tôt pour finalement arriver à la même heure que d’habitude à cause de la grève. La pluie s’est fait plus discrète ce matin, mais le ciel reste imperturbablement gris et pourtant la couleur fuse de partout pour qui sait s’en saisir, pour qui sait capter dans l’instant fugace ce qui lui est donné à voir, jusque dans les détritus qui ornent les trottoirs dans des bacs dont on ne sait à quel usage ils étaient destinés.

Rêver

Jour 7 – La couleur de la ville, parfois tu dois la rêver, au-delà du rideau de pluie qui n’a décidément pas envie de s’ouvrir. Regarder en toi les couleurs qu’elle a déposées la ville pour les jours de disette, t’en saisir dans les moments difficiles, quand tu sais que le défi de sortir tu ne le relèveras pas ou peine, quelques pas rapides jusqu’à ta voiture, direction le cours de yoga, quelques pas rapides à nouveau, capuche presque devant les yeux, tu ne regardes pas autour de toi. Demain pas d’autre choix, tu sortiras.

Dubai

Jour 6 – Rêver de Dubaï pour mettre de la couleur dans la ville ? Pour le dire franchement, non, ce n’est pas Dubaï qui t’a attirée, c’est la fleur de lotus fuchsia et rose pâle, la fleur de la transcendance, la fleur qui irradie et illumine, celle que tu rêves de voir un jour en vrai. Tu passes souvent devant ce lieu mais tu n’as jamais vu personne y entrer ou en sortir. Cette enseigne tape à l’œil a le mérite, au moins, de mettre de la couleur dans cette journée de printemps qui fait grise mine.

Les tags c’est la ville ?

Jour 5 – Je ne connais pas assez la vie des villages pour affirmer qu’ils y sont présents en nombre, ou pas, discrètement ou pas. Au début, leur présence dans la ville avait un goût de liberté, de révolution, ou tout simplement de protestation. L’élaboration et la beauté de certains d’entre eux, leur côté éphémère, leur récurrence ont conduit à la naissance d’un mouvement artistique : l’art urbain ou street art. Mais la masse des tags ordinaires qui couvrent les murs de la ville, peu de gens y prêtent encore attention, ils sont là, ils se sont fondus dans les murs et les façades. Et puis il y en a un qui t’éclate presque à la figure, quand tu navigues le matin dans le gris de la ville, dans ton brouillard intérieur qui ne s’est pas encore levé, des lettres, des graphismes, tu ne sais trop, jaune pétant, rouge pétant, qui se détachent sur fond de vieille porte de garage à lamelles, grises évidemment. La couleur est là, partout. Il suffit d’ouvrir les yeux.

Sortir

Jour 4 – Un défi dans le défi : sortir, sortir pour repérer la couleur qui fera trace aujourd’hui. Sortir de chez toi quand tu fais du télétravail est un défi en soi. Le matin, avant de te connecter ? C’est très peu probable. Pendant ? C’est rarement possible. Mais plausible. Après ? Tu n’en as plus envie.  Tu as pris prétexte de courses pour partir à sa recherche. Il y a des couleurs fixes, celles de bâtiments, des enseignes, des panneaux publicitaires, des tags, tu les vois à peine, elles se fondent et se mélangent, s’échappent de part et d’autre de ton regard. L’une ou l’autre l’accrochent, tu te dis que tu la gardes en réserve pour un autre jour. Il y a des couleurs mouvantes. Au coin de la rue, tu ne t’y attends pas, le tram surgit bardé de rouge, publicité et slogans, tu as à peine le temps de le saisir dans ton téléphone. Le rouge a disparu.

La femme au béret fuchsia

Jour 3 – Dans le métro, plongée dans ma lecture, je lève la tête, je vois le béret fuchsia et je ne vois que lui, tout le reste n’est que brouillard autour, les gens, les stations où le métro s’arrête, tout. La femme au béret fuchsia est assise en face de moi. Une femme d’un certain âge, les yeux rivés à son téléphone, le doigt animé de ce mouvement caractéristique du bas vers le haut qui fait défiler les posts très probablement sur Instagram. Elle, toute vêtue de bleu foncé, de noir, foulard à motifs gris clair et blancs, un sac bleu nuit avec sur le devant un grand papillon bleu et blanc aux ailes ornées de brillants et sur le dessous des motifs têtes de mort imprimés en creux. Même les montures de ses lunettes sont bleu foncé. J’ai tenté de la photographier discrètement quand à ce moment précis mon téléphone s’est éteint, pour me rappeler sans doute que photographier les gens d’aussi près, à leur insu, est inapproprié. Elle a rangé son téléphone, a fermé les yeux un bref instant, pour s’en ressaisir aussi vite et se remettre à faire défiler les posts, imperturbablement, sans imaginer que le souvenir de son béret fuchsia serait emporté dans les méandres du web.

Echos

Jour 2 – Echo, déjà, à l’image d’hier, deux images qui se répondent, deux couleurs qui se font écho, d’une image à l’autre, de l’une à l’autre, d’une journée à l’autre et serait-ce anticiper de dire que d’échos il sera sans doute beaucoup question dans cette série d’images et d’occurrences ? Oui, mais si la couleur d’aujourd’hui – et son écho – n’était pas celle que l’on croit, et si une autre s’était invitée, qui arrête le regard, comme un point d’orgue, pour l’emmener au loin, vers sa fuite ?